À Taïwan, de nombreux récoltants sont originaires du Vietnam. En termes vestimentaires, ils possèdent un style qui leur est propre et les rend aisément reconnaissables. Ils le conjuguent parfois jusqu’au bout d’un index qu’ils recouvrent de couleur vive et cette protection de caoutchouc leur évite un noircissement inopiné de la peau à la fin d’une journée de cueillette.
L’expérience de la cueillette
Pour comprendre le thé, sa transformation, rien ne vaut de faire soi-même l’expérience de son élaboration. Et ce chemin passe en premier lieu par la cueillette, c’est-à-dire la sélection des jeunes feuilles qu’il va falloir manufacturer. Rien de tel que de mettre la main à la pâte pour prendre conscience de la précision nécessaire, de la délicatesse, de la difficulté de chacune des étapes qui conduisent à la naissance d’un thé et si possible d’un grand cru.
Ici, à Kalapani (Népal), Céline dont le métier consiste à diriger toute la chaîne d’approvisionnement de Palais des Thés, est initiée à la cueillette et s’applique à récolter, sur chaque rameau arrivé au stade de développement désiré, le bourgeon et les deux feuilles suivantes.
Faire connaissance
Lorsque l’on observe la feuille sèche, on apprend quelque chose du thé : sa teneur en bourgeons, la taille et la couleur de la feuille, son degré d’oxydation. Voilà une raison essentielle d’acheter le thé en vrac, pouvoir en admirer la qualité. Nul besoin d’être un expert pour cela. Choisir son thé en connaissance de cause relève simplement du bon sens et l’apparence de la feuille importe beaucoup dans ce que nous réserve l’expérience de la dégustation.
Voici enfin une seconde raison de réserver l’achat du thé au seul vrac : le plaisir du thé ne commence pas au moment de porter le thé à ses lèvres, mais à l’heure où chez soi, on ne sait pas encore quel thé choisir, on hésite. Tandis que dans la bouilloire l’eau commence à chauffer, on soulève le couvercle de ses différentes boîtes, on reproduit l’expérience que l’on vit chez le marchand de thé, on hume les feuilles, on les observe, on se demande quel thé convient le mieux au moment présent. Cet échange nous prépare au rituel de la dégustation.
Ici, il n’est qu’à observer ces feuilles d’une grande beauté (il faut souligner le travail remarquable de moult petits producteurs népalais) pour déjà sentir monter en soi le désir de faire connaissance.
Vivre le thé
Le thé, on peut parcourir le monde à sa recherche, on peut le déguster, l’analyser.
Il est en revanche rare de pouvoir le manufacturer soi-même. Récolter les feuilles, les rouler entre ses mains, les aider à se flétrir, les observer tandis qu’elles s’oxydent jusqu’au moment de les mettre à sécher, constitue pour tout amateur une expérience rare. Ici, en Géorgie, Nathalie, responsable au sein du service des Ressources Humaines et Charlotte, responsable de la boutique de la rue Raymond-Losserand à Paris, découvrent la joie de s’adonner à la fabrication de leur propre thé.
Demain elles le dégusteront. À l’instant de prendre cette photo, elles ne se doutent pas à quel point cette expérience particulièrement réussie les rendra à la fois étonnées et fières. Après tout, c’est bien la première fois qu’elles créent leur propre thé. Une expérience inoubliable.
Fumer le thé
Les inconditionnels du thé fumé le savent – eux qui ont si peur parfois de manquer – il existe peu d’alternatives à la puissance et au bouquet aromatique de cette recette qui nous vient de Chine et ce, bien que dans l’Empire du Milieu, nul n’ait jamais bu de ce thé qui fait faire des grimaces aux plus téméraires. Sa puissance est telle que l’on jurerait au moment d’en humer le parfum être tout entier plongé dans l’âtre. Le plus connu de ces thés fumés se nomme Lapsang Souchong. Pour d’obscures raisons, l’Union Européenne a dans le nez une molécule que l’on nomme anthraquinone et qui apparaît ici lors du process de combustion. Aussi, faut-il de temps à autre solliciter de nouveaux producteurs de divers pays afin de leur faire faire des essais de fumage. A l’aide de différents bois, ici des aiguilles de pin.
Une cueillette de qualité
Le thé ne se récolte pas tout seul. Il m’importe de mettre en avant le travail de celles et ceux qui chaque jour prélèvent sur chaque rameau le bourgeon et les deux feuilles qui composent une cueillette de qualité. Cette tâche qui s’effectue encore à la main dans de nombreux pays constitue une étape d’autant plus délicate qu’il est impossible de manufacturer un grand cru si au départ la cueillette n’a pas été réalisée avec un soin suffisant.
Boutures et nursery
Pour manufacturer un bon thé, encore faut-il bien connaître ses théiers. La chose est plus aisée lorsque l’on s’occupe de chacun d’eux depuis leur plus jeune âge. Nombreuses sont les plantations – comme ici à Satemwa, au Malawi – qui bouturent elles-mêmes les plants et les font ensuite grandir durant dix-huit mois dans ce que l’on nomme une nursery. Sous ombrage pour les préserver d’un trop fort ensoleillement et d’une moindre humidité, les jeunes boutures développent leur système racinaire. Plus tard, le tout jeune théier sera planté en plein terre et commencera sa vie d’adulte. Il sera alors temps de récolter ses pousses – plutôt rares les premières saisons, de plus en plus nombreuses au fur et à mesure du développement et de la ramification de l’arbuste.
Ombre et engrais
Certes, le théier a besoin de lumière, mais cela ne lui plait pas pour autant de subir toute la journée les rayons d’un soleil direct. Il apprécie jouir de temps à autre d’un peu d’ombre, surtout s’il a été planté à basse altitude, à un niveau où les températures peuvent facilement monter. Alors on crée un léger couvert pour être agréable à notre théier et le faire bénéficier d’un temps de repos. Ce couvert se compose le plus souvent d’arbustes appartenant à la grande famille des légumineuses, plantes dont le feuillage en se dégradant enrichit les sols notamment en azote. Un engrais vert, en quelque sorte, très apprécié par le théier.
Petits producteurs et grands domaines
A Darjeeling, une région à laquelle je suis particulièrement attaché et que j’ai si souvent visitée, on trouve de grands domaines tels qu’ils ont été créés par les British entre le milieu et la fin du 19ème siècle. On trouve aussi quelques initiatives locales, des petits producteurs qui possèdent quelques hectares ou bien collectent les feuilles de paysans alentour. On les voit parfois intervenir aussi sur des plantations à l’abandon. C’est alors toute la famille qui récolte et qui va ensuite manufacturer ces feuilles de façon artisanale, certes, mais parfois très réussie. Parmi ces initiatives, citons Yanki tea farm ou encore Niroula tea farm.
Le deuxième nez
L’une des phases les plus délicates de la fabrication du thé noir consiste à l’oxyder convenablement. Pour cela on laisse la feuille se flétrir durant une bonne dizaine d’heures, on la malmène ensuite afin d’en détériorer la structure. Et vient le moment de cette fameuse oxydation qui a lieu dans une atmosphère humide. C’est durant cette étape que la feuille change de couleur et vire du vert au brun. C’est aussi à ce moment-là que ses arômes se modifient de façon radicale : apparaissent des notes de bois, de fruits compotés, d’épices, parmi une multitude d’autres. A quel moment stopper l’oxydation ? A Darjeeling, on croit au deuxième nez, ce qui signifie ceci : au commencement de leur oxydation, les feuilles de thé vont dégager une odeur intense mais si on attend quelques minutes ce parfum va peu à peu disparaître pour revenir un peu plus tard en force. Ce retour aromatique, c’est précisément ce que l’on nomme le deuxième nez. Il signifie qu’il est temps de stopper la parfaite oxydation que l’on a obtenue. Reste alors à sécher les feuilles, à les trier et à les emballer.