Sans parler du set à déguster parfois utilisé par les professionnels, il existe diverses manières de faire infuser le thé. Le zhong ou le gaiwan, en Chine, le shiboridashi ou le kyusu, au Japon. En Occident, le récipient le plus utilisé se nomme une théière. Mais pourquoi ne pas explorer des territoires moins connus ? Aujourd’hui je voudrais vous parler du gaiwan, cet objet dénué de toute prétention se compose d’une sorte de bol et de son couvercle. Dans un premier temps, observons-le de l’extérieur tandis qu’à l’intérieur les feuilles sont en train d’infuser. L’avantage du gaiwan réside dans sa plus extrême simplicité et dans sa radicalité. Faire infuser le thé, c’est quoi ? C’est mettre en contact les feuilles de thé avec de l’eau. Ainsi, les feuilles en s’ouvrant libèrent leurs arômes et leurs autres composants. Difficile pour une feuille de thé de prendre davantage ses aises que dans cet ustensile remarquable. Je pourrais tout de suite vous montrer l’intérieur du gaiwan, mais je préfère attendre dans la mesure où ce que j’apprécie plus que tout lorsque je me prépare un thé c’est contempler l’objet dans lequel il infuse, sa couleur, la façon dont les changements de lumière se reflètent, influent sur sa matière, j’observe la rugosité de sa terre, les paysages dans lesquels la contemplation de cet objet m’emmène. Ce gaiwan a été réalisé en France, dans le Périgord, par une céramiste de talent qui se nomme Manon Clouzeau. Observons encore notre thé qui infuse sous ce délicat couvercle dont la préhension est si aisée. Je vous laisse contempler et vous donne déjà rendez-vous. La semaine prochaine, j’enlève le haut.
De la plante à la tasse
Darjeeling, quel modèle retenir ?
Des propriétaires qui se plaignent, des ouvriers qui rechignent, des acheteurs qui peu à peu désertent devant les hausses à répétition et des thés appelés à tort Darjeeling qui circulent. Si on aime Darjeeling et ses habitants, on ne peut pas rester les bras ballants devant cette situation. Alors que faire ? Quel avenir radieux pourrait-on imaginer pour cette ville qui aime à se faire appeler la Reine des Montagnes et pour ce thé prestigieux qui revendique de façon contestable juridiquement l’appellation de « Champagne du thé » ? Si on veut que les paysans restent à travailler dans les plantations, il faut qu’ils soient heureux, sinon leurs enfants partiront. Donc il faut qu’ils soient mieux considérés et le salaire est un élément parmi d’autres de cette indispensable considération. Par ailleurs et si l’on parle d’avenir, les propriétaires des plantations doivent être prêts à investir. Ce qui est de moins en moins le cas à l’heure actuelle car le profil de nombre d’entre eux a changé, et l’exigence d’un retour sur investissement rapide a souvent remplacé une vision à long-terme. Enfin, on ne peut pas accepter que le thé soit coupé avec un autre pour faire baisser son prix de revient, ni que l’acheteur soit indéfiniment la variable d’ajustement de cette équation.
Une solution pourrait être celle-ci : des ouvriers plus qualifiés, mieux rémunérés, moins nombreux, des tâches davantage mécanisées à condition que cela ne se fasse pas au détriment de la qualité, notamment en haute saison. Ou alors, autre solution possible : que les plantations achètent les feuilles aux paysans auxquels on aurait rendu les terres. A charge pour eux de récolter les feuilles. Ils négocieraient avec l’une ou l’autre factory le fruit de la cueillette, prendraient à leur charge les activités de taille… Et la plantation se consacrerait à la transformation de la feuille de thé, puis à sa commercialisation. Si l’on est aussi attaché que je le suis au Pays des Orages (Dorje-Ling) et que l’on rêve à un avenir radieux, voici de possibles solutions. Il en existe sûrement d’autres.
Pour que Darjeeling se réinvente
Année après année, la situation à Darjeeling n’évolue pas de façon heureuse. Je ne veux pas parler ici de la situation politique, fragile depuis des décennies, mais du marché du thé. Chaque année, les premières récoltes se négocient un peu plus cher alors que le thé n’est pas meilleur pour autant. Sur un autre plan, les employés des plantations se plaignent à juste titre de salaires très bas. Et paradoxalement, les propriétaires eux revendiquent tous, outre des charges en forte hausse, une absence de profitabilité voire des pertes d’exploitation. Et l’on voit même des jardins fermer. Pour mémoire, les propriétaires des plantations louent les terres à l’Etat. Et le planteur, celui qui dirige la plantation, est un salarié comme un autre, et parfois il quitte le domaine, quand cela fait des mois qu’il n’est pas payé, par exemple. Pour couronner le tout, il se vend beaucoup plus de thé de Darjeeling dans le monde qu’il n’en est produit, la faute à toutes sortes de trafics qui commencent sur place.
Sur ce sujet, les Indiens sont prompts à accuser les Népalais de tous les maux, de copier les thés de Darjeeling, par exemple, ils se trompent. D’une part, les Indiens ne sont pas les derniers et loin de là à importer des thés du Népal pour les commercialiser ensuite en tant que thés de Darjeeling. D’autre part, les Népalais depuis une ou deux décennies se mettent à produire de délicieux thés, souvent d’un niveau largement équivalent à ceux de Darjeeling, voire supérieur, et pour la moitié du prix. Il ne s’agit ici en aucun cas de contrefaçon, plutôt de compétition. Où est l’erreur ? Un niveau de vie moindre au Népal et des fermiers indépendants qui ne comptent pas les heures peuvent expliquer une partie de l’équation. Quoi qu’il en soit, il va falloir que Darjeeling se réinvente… (à suivre…)
Une année qui commence bien
Le premier thé de l’année en provenance des contreforts himalayens à rejoindre Paris représente toujours un temps fort. D’une part, c’est à Darjeeling d’abord, avant la Chine, avant le Japon – et pour ne s’en tenir qu’aux régions de thé les plus prestigieuses au monde – que les théiers sortent de leur hibernation. Cette année, d’autre part, le premier thé à nous arriver est un Puttabong DJ1. DJ1 signifie qu’il s’agit du premier lot manufacturé de l’année. Puttabong bénéficie par ailleurs d’une aura toute particulière puisqu’il s’agit du premier jardin créé par les Anglais au milieu du XIXème siècle dans cette région du monde située aux confins du Tibet, du Népal, du Bhoutan. Le premier thé du premier jardin, frais et floral, aux effluves subtilement vanillées, zestées, amandées… Voici une année qui commence bien.
La face sombre du thé
En ces temps de manifestations et de débordements divers, à l’heure où les mots « blacks » et « darks » envahissent notre quotidien, je voudrais vous dire que le thé aussi comporte une face sombre. Les galettes de pu er, pour ne pas les nommer, sont constituées de thé fermenté, donc de thé sombre puisque c’est ainsi que les Chinois ont décidé de les distinguer, il y a de ça plus d’un millénaire. Sitôt étuvées, ces feuilles sont compressées en blocs lesquels épousent la forme d’une brique, d’une galette ou, plus bucolique, d’un nid d’oiseau. Ces thés compressés – que l’on pourrait désigner ici en anglais par l’appellation « dark blocs » -, se bonifient avec le temps. Au moment de les déguster, on les brise sur un côté et les feuilles s’émiettent. Ce sont elles que l’on infuse, de préférence dans un gaiwan et plusieurs fois de suite, jusqu’à ce qu’elles aient donné tout ce qu’elles avaient à nous rendre.
Yanki, une production confidentielle
Darjeeling ne se limite pas à ces grands domaines créés par les Anglais à une époque où le soleil ne se couchait jamais sur les territoires de Sa Majesté. De nos jours, au-delà des 83 plantations officielles et dûment enregistrées, il existe diverses initiatives locales, de petites manufactures plus confidentielles qui produisent parfois de très jolis thés. Yanki, par exemple, fait partie de celles-ci, et du côté du village de Mirik, Allan et sa famille travaillent la feuille de thé avec succès. Tandis que la plupart des planteurs de Darjeeling arrivent de diverses régions de l’Inde, eux sont originaires de ces montagnes et parlent la même langue que leurs habitants, le népali. Allan et les siens achètent les feuilles fraîches des villageois alentour et à partir de ces feuilles ils mettent au point des crus fameux.
Six mois sans pluie
Au début du printemps, sur chaque rameau du théier, on voit apparaître les jeunes pousses. Ici, à Darjeeling, elles surviennent après un long hiver durant lequel chaque camélia entre en dormance. Cette hibernation dure près de quatre mois, de mi-novembre à début mars environ, selon les conditions climatiques ambiantes.
Cette année, du côté de ces contreforts himalayens sur les pentes desquelles les Anglais ont eu l’idée de faire pousser le thé, il n’y a de cela pas deux siècles, la sécheresse a sévi. Six mois sans pluie ou presque. Dérèglement climatique oblige, lié au réchauffement de la planète, selon les uns, à la déforestation, selon les autres. La conséquence de ces désordres se traduit en chiffres et à la mi-mars, on s’attendait à une production inférieure de moitié à ce qu’elle était l’an passé. En ce qui concerne la qualité, pas d’inquiétude, une pousse lente plaidant plutôt en faveur d’une qualité accrue et d’une plus grande concentration aromatique.
Pour que déguster le thé reste toujours un plaisir
Me voici en Inde pour le commencement des récoltes de printemps. Entre le moment où nous dégustons un thé aussi fragile qu’un thé primeur, entre le moment où nous l’achetons, où ce thé est mis à bord d’un avion, et le moment où vous le trouvez dans votre boutique préférée, il s’écoule un certain nombre de jours, incompressibles. En effet, une fois rendu dans nos entrepôts et à moins que ce lot soit déjà certifié « bio » par un organisme agréé, nous envoyons et de notre propre fait un échantillon de ce thé dans un laboratoire indépendant afin qu’il soit soumis à un contrôle très strict de plus de deux cents résidus de pesticides. Et pour les thés déjà certifiés, nous pratiquons tout de même des tests et sur une base cette fois aléatoire. Seul en France à s’être hissé à un tel niveau d’exigence, Palais des Thés assure ainsi la communauté des amateurs de la parfaite conformité de ses lots et de leur bien-être à tous.
Photo : Alexandre Denni.
Des grands crus plus nombreux, plus variés
Parmi les questions qui me sont le plus souvent posées, celle-ci : le nombre de boutiques Palais des Thés augmentant, la qualité du thé ne va-t-elle pas baisser ?
La question porte sur les grands crus, ces thés à la fois rares, éphémères, et produits dans des quantités très limitées. Et la réponse est celle-ci. A l’heure actuelle, nous ne retenons qu’un grand cru sur plus de cent lots qui nous sont proposés. Certes, tous ne méritent pas de rejoindre cette sélection prestigieuse, mais beaucoup pourraient y prétendre. Or, nous n’allons jamais demander à producteur qui a réussi à manufacturer un lot exceptionnel de seulement cinquante kilos, d’augmenter la taille de son lot. Cela serait risqué en termes de qualité. Mais rien ne nous empêche de sélectionner davantage de lots et que certains d’entre eux soient disponibles dans certaines boutiques seulement. Ainsi, l’offre de grands crus continuera à évoluer dans le temps mais aussi dans l’espace, puisque d’un Palais des Thés à l’autre nous aurons le bonheur de trouver des différences dans une sélection toujours aussi exigeante.
Au Malawi, la plantation Satemwa fête ses cent ans
Au Malawi, la plantation de Satemwa fête ses 100 ans. L’Afrique, j’ai mis du temps à m’y intéresser. J’avais déjà pas mal à faire avec l’Asie. Et puis à force de recevoir des sollicitations, à force de curiosité et pour en avoir le cœur net, savoir si je pourrais un jour trouver de l’aussi bon thé en Afrique qu’en Asie, quand bien même les plantations seraient autrement plus récentes, je m’y suis rendu.
J’ai commencé par le Malawi. Un pays d’une rare beauté. Des champs de thé baignés d’une autre lumière. Une terre rouge. Des visages différents. Les mêmes enfants que partout qui vous courent après, déchainés, hilares. Et Alex, le planteur, depuis trois générations, qui a créé un atelier dans son imposant bâtiment afin de mettre au point des thés rares. Le début d’une belle aventure. Une merveilleuse découverte. Joyeux anniversaire à tous les hommes et les femmes de Satemwa.