Depuis plus de cent ans, on cultive le thé sur l’île de São Miguel, aux Açores. Un climat chaud et humide, une terre volcanique et acide, un relief montagneux. Il n’en faut pas davantage pour que le théier se sente ici chez lui.
De la plante à la tasse
Des pratiques variées
On peut penser que les règles qui définissent la couleur d’un thé sont strictes. Cela n’est pas toujours le cas. Ici, dans le Triangle d’Or, la mode est au mao cha, ce thé qui sert de base aux différents thés fermentés que l’on nomme dans cette région du monde les pu erh. Or, certains laissent le mao cha se flétrir une nuit durant avant de le fixer à la chaleur, de le rouler et enfin de le laisser une journée au soleil. Tandis que d’autres, sitôt la cueillette effectuée, travaillent les feuilles au wok durant une dizaine de minutes avant de les rouler à la main et les laisser sécher cinq à six heures en plein soleil.
Être utile
Lorsque j’achète certains thés, j’ai le sentiment profond de notre utilité à l’égard des communautés. J’ai le sentiment que l’argent versé en échange de ce travail remarquable que constitue la manufacture d’un grand cru va être réparti de façon équitable, et non pas profiter à un individu seulement. En visite dans une plantation, voici une question que je me pose souvent : mettons que je paye ici le thé le double de sa valeur, à qui va aller cet argent ? Dans certains cas j’ai l’intuition que l’argent ne va aller qu’à une personne ou bien une catégorie de personnes et que les cueilleuses, les cueilleurs ne toucheront pas le moindre bonus. Et lors d’autres visites, j’ai la conviction que mon geste donnera lieu à un partage. Que le village entier pourra se féliciter d’avoir su faire de si délicieux thés, et que tous les efforts seront mis en œuvre pour en manufacturer de nouveaux. Et dans ce cas, j’ai le sentiment, fort, de notre utilité. Ici, au Népal, les équipes de Palais des Thés et de la manufacture de Norling font connaissance. Vous êtes utile à tout le village lorsque vous leur achetez leur magnifique thé. (photo : Anna Galitzine)
Les maocha de Dara
Voyager c’est aller à la rencontre des autres et je suis heureux d’avoir fait la connaissance de Dara, la semaine dernière, dans les montagnes au nord de la Thaïlande. Le père de Dara dont la famille est originaire du Yunnan (Chine) a quitté Kunming à l’âge de 15 ans, accompagné de son jeune frère, pour rejoindre la ville de Fang. C’était en 1938. Il fuyait la misère. Il connaissait le thé. Il a trouvé à Pai un bon feng shui. Il s’y est établi. Dara est passionnée de thé et manufacture un délicieux maocha à partir de feuilles récoltées sur de vieux théiers. Sur cette photo elle pose avec Mie, son amie avec laquelle elle partage sa vie.
Chez les Karen
Il n’y a pas qu’en Chine ou dans le nord du Vietnam que l’on récolte les feuilles de thés sur des camélias devenus hauts. Dans le nord de la Thaïlande, à quelques kilomètres du Myanmar (Birmanie), cette femme appartenant à l’ethnie Karen, prélève sur de vieux théiers qui s’épanouissent dans la jungle les jeunes pousses à partir desquelles va pouvoir être manufacturé le maocha, matériau végétal qui sert de base aux thés sombres.
La pratique de la cueillette
La cueillette, il faut la pratiquer pour la comprendre. Il est difficile d’imaginer ce que l’on ressent lorsque l’on se tient une journée entière debout sur une pente parfois très inclinée et avec une hotte de dix ou vingt kilos dans le dos. Cette hotte tient en équilibre grâce à une sangle qui ceint le front tandis que le cueilleur de ses doigts agiles prélève avec la plus grande rapidité le bourgeon et les deux feuilles tendres présents sur chacun des rameaux de l’arbuste. Il faut répéter le même geste des milliers de fois et lancer par-dessus l’épaule les jeunes pousses avec une certaine dextérité afin qu’elles retombent bien dans la hotte. Ici, votre serviteur se concentre sur la tâche. (photo : Uday Yangya)
Un marathon qui a pour nom Darjeeling
Chaque année, les tea sommeliers que nous sommes ont droit à leur marathon. Il a pour nom Darjeeling. Les échantillons de thés de printemps en provenance de cette région arrivent par pochette de dix, vingt, trente. Il faut tout goûter dans la demi-journée si l’on veut avoir une chance que les thés soient encore disponibles. Plus l’on se dépêche, plus c’est cher, mais plus l’on tarde et plus on prend le risque de ne rien avoir du tout des thés que l’on aime. Cet exercice qui ne se pratique que pour Darjeeling, du fait que les ventes se font au plus offrant et que les lots ne dépassent pas quelques dizaines de kilos, dure environ six semaines. A la suite de quoi toute la production printanière a trouvé preneur et les théiers, contrariés par trois prélèvements successifs, font une pause avant de reprendre leur pousse. On peut se permettre ici un constat : année après année, ces thé valent de plus en plus cher. Pourtant, tous les jardins situés à Darjeeling prétendent perdre de l’argent du fait des coûts de production en hausse, et ces hausses ne semblent malheureusement pas bénéficier aux cueilleuses. Les audits de Mckinsey, si décriés en cette veille d’élection, seraient ici précieux pour faire la lumière sur ce mystère.
Nos amis géorgiens
En ces temps difficiles pour la Géorgie, nous recevons de l’un de nos amis producteur ce message qui nous touche particulièrement. « Chaque kilo de thé géorgien vendu, tout spécialement en Europe, contribue à la fois à notre dignité et à notre survie ». Bien sûr, nous faisons ce que nous pouvons pour celles et ceux avec lesquels nous avançons main dans la main, et c’est dans cet esprit que je vous partage ce message. Si vous n’avez encore jamais dégusté de thé de Géorgie, sachez que l’on en trouve de délicieux. Le thé blanc de Guria, par exemple. Il s’agit d’une toute petite récolte. Un thé blanc travaillé à la façon des fameux Bai Mu Dan de Chine.
Une belle harmonie
Ici, à Taiwan, le sol à l’extérieur de la plus ancienne manufacture de thé noir, transformée en musée, m’évoque mon métier. Les pousses du camélia, végétales dans l’âme, et si on ne les récolte pas se transforment peu à peu en tiges, en bois. Ainsi le théier est-il fait de vert et de sombre, de matière souple et de matière dure, de feuilles et de branches. Ce contraste de couleurs m’évoque aussi les arômes du thé, arômes si souvent végétaux dans le cas des thés verts, et si boisés du côté des thés noirs. Tout ici dit le thé, jusque dans cette belle harmonie entre de vieilles planches entre lesquelles pousse une joyeuse herbe.
Un printemps à s’offrir
Dans un monde en fureur, prenons le temps du thé, et puisque le printemps arrive, avec lui les premières fleurs, les premières pousses, dégustons celles qui nous parviennent tout juste de l’Himalaya. Les camelias sinensis les plus précoces s’épanouissent sur les contreforts de ce fameux massif et la saison du thé commence à peine à Darjeeling. Après un hiver rigoureux, une longue dormance, les théiers s’éveillent. Les plus jeunes feuilles récoltées à l’extrémité de chaque rameau développent à la tasse des parfums floraux, amandés, herbacés.
Je viens d’acheter le lot de « Rohini Early Spring Ex 4 », ainsi que le « Millikthong Early Spring Ex 2 ». Une fois parvenus en France et envoyés en laboratoire pour analyse, Safetea™* oblige, ils seront disponibles. Et avec eux une pause, un moment à part, un parfum de printemps, à une certaine distance du bruit du monde.
*Engagement de Palais des Thés de proposer à ses clients uniquement des thés certifiés issus de l’agriculture biologique ou analysés en laboratoire indépendant afin de s’assurer de leur conformité avec la législation européenne.