En Angleterre, le thé constitue un rituel. Ou plutôt plusieurs rituels : early morning tea, breakfast tea, et bien sûr le fameux afternoon tea. Durant ce qu’il faut bien dire, ressemble à un vrai repas, le thé est important, certes, mais l’atmosphère, la qualité de la porcelaine, les sandwiches au concombre, à la menthe ou au cheddar, les scones, muffins, cakes, crème fouettée, sont encore plus à l’honneur. C’est la Duchesse de Bedford, au début du XIXème siècle, qui a institué ce moment. A l’époque on déjeunait tôt, dînait tard, et notre duchesse en souffrait. Elle a institué, non pas la tasse de thé qui existait déjà mais tout ce qui peut être à-même de l’accompagner dans le creux d’un après-midi. Une visite dans l’un des nombreux établissements londoniens qui proposent ce que l’on nomme aussi le five o’clock tea calmera les appétits les plus féroces et ce, dans une ambiance délicate, toute en chuchotements, attentions, pas feutrés. Un thé social, bien élevé. Le thé chic par excellence.
Inspirations
Un noble flétrissage
Le flétrissage est essentiel à la fabrication de nombreux thés. Durant cette étape, la feuille de camélia, initialement composée à 80% d’eau, va perdre peu à peu son humidité. Souvent les curieux demandent ce que signifie le mot flétrissage, du fait qu’il reste peu employé dans notre langue. Ce mot est pourtant présent dans la plus célèbre tirade du Cid, et dans un sens certes un peu différent puisque ce sont des lauriers qui flétrissent sous la plume de Corneille. Par ailleurs, loin d’apporter à la couronne de feuilles qui couvrent le chef de Don Diègue une quelconque valeur ajoutée, ce flétrissage vient signifier la perte d’une fière apparence, une sorte de déshonneur.
Dans théâtre, il y a thé. Pour le reste, on diverge. On n’a encore jamais entendu la moindre feuille de thé se plaindre de son flétrissage et déclamer, Ô rage, Ô désespoir.
Vivre libre !
Le principe du gaiwan, le voici, après avoir déposé dans le récipient une quantité importante de feuilles, correspondant au tiers de son volume environ, on vient verser l’eau. Une infusion courte que l’on transvase dans un pot de réserve ou directement dans des tasses, avant de faire infuser une seconde fois. Puis une troisième.
Des infusions brèves et successives, et des feuilles qui jouissent d’une liberté totale. Regardez-les ici prendre leur aise. Chacune d’entre elles se trouve comme un poisson dans l’eau. Avez-vous déjà observé des feuilles de thé en train d’infuser ? En avez-vous rencontré d’aussi décontractées que celles-ci, d’aussi détendues ? Le gaiwan, ça n’est pas seulement du thé, c’est aussi un spectacle. Beauté de l’objet, beauté des feuilles au bain. Après avoir soulevé délicatement le couvercle, libre à nous de les admirer, admirer leur teinte, leur forme, la façon dont l’eau leur redonne vie, et le parfum qui se dégage, bien sûr, et que l’on va venir sentir en rapprochant de son nez l’intérieur d’un couvercle qui a su le capturer.
La simplicité du gaiwan
Sans parler du set à déguster parfois utilisé par les professionnels, il existe diverses manières de faire infuser le thé. Le zhong ou le gaiwan, en Chine, le shiboridashi ou le kyusu, au Japon. En Occident, le récipient le plus utilisé se nomme une théière. Mais pourquoi ne pas explorer des territoires moins connus ? Aujourd’hui je voudrais vous parler du gaiwan, cet objet dénué de toute prétention se compose d’une sorte de bol et de son couvercle. Dans un premier temps, observons-le de l’extérieur tandis qu’à l’intérieur les feuilles sont en train d’infuser. L’avantage du gaiwan réside dans sa plus extrême simplicité et dans sa radicalité. Faire infuser le thé, c’est quoi ? C’est mettre en contact les feuilles de thé avec de l’eau. Ainsi, les feuilles en s’ouvrant libèrent leurs arômes et leurs autres composants. Difficile pour une feuille de thé de prendre davantage ses aises que dans cet ustensile remarquable. Je pourrais tout de suite vous montrer l’intérieur du gaiwan, mais je préfère attendre dans la mesure où ce que j’apprécie plus que tout lorsque je me prépare un thé c’est contempler l’objet dans lequel il infuse, sa couleur, la façon dont les changements de lumière se reflètent, influent sur sa matière, j’observe la rugosité de sa terre, les paysages dans lesquels la contemplation de cet objet m’emmène. Ce gaiwan a été réalisé en France, dans le Périgord, par une céramiste de talent qui se nomme Manon Clouzeau. Observons encore notre thé qui infuse sous ce délicat couvercle dont la préhension est si aisée. Je vous laisse contempler et vous donne déjà rendez-vous. La semaine prochaine, j’enlève le haut.
Des accords salés
La chaîne de télé M6 est venue me voir cette semaine pour m’interroger à propos d’associations de thé et de mets. Et pas n’importe quelles associations ! Uniquement celles qui ont à voir avec du salé. En effet, marier le thé avec le sucré, y compris pour les néophytes, cela coule de source et ça s‘appelle par exemple le « tea time ». En revanche, avec le salé, c’est différent, disons plus osé, alors ma première recommandation est celle-ci, pour celles et ceux qui souhaitent se lancer dans de tels accords, il est souhaitable de privilégier une infusion à température ambiante. La raison en est que si charcuterie et thé ont des choses à se dire, si fromage et thé aussi à condition de bien choisir son cru, il n’est pas conseillé ici de confronter le chaud au froid. Pour votre infusion, voici comment procéder : vous prenez le thé de votre choix, vous mettez dans une carafe la quantité habituelle à savoir deux grammes par tasse, vous versez de l’eau filtrée et vous attendez une heure. De gauche à droite, Pu Erh Impérial (pour un Comté 36 mois), Bancha Hojicha (pour un brie), Shiraore Kuki Hojicha (pour un pont-l’évêque), Butterfly of Taiwan (pour un ossau-iraty), Dharamsala smoked (pour un fromage fumé, une charcuterie), Chine Long Jing (pour un chèvre frais). Bon appétit !
Darjeeling, quel modèle retenir ?
Des propriétaires qui se plaignent, des ouvriers qui rechignent, des acheteurs qui peu à peu désertent devant les hausses à répétition et des thés appelés à tort Darjeeling qui circulent. Si on aime Darjeeling et ses habitants, on ne peut pas rester les bras ballants devant cette situation. Alors que faire ? Quel avenir radieux pourrait-on imaginer pour cette ville qui aime à se faire appeler la Reine des Montagnes et pour ce thé prestigieux qui revendique de façon contestable juridiquement l’appellation de « Champagne du thé » ? Si on veut que les paysans restent à travailler dans les plantations, il faut qu’ils soient heureux, sinon leurs enfants partiront. Donc il faut qu’ils soient mieux considérés et le salaire est un élément parmi d’autres de cette indispensable considération. Par ailleurs et si l’on parle d’avenir, les propriétaires des plantations doivent être prêts à investir. Ce qui est de moins en moins le cas à l’heure actuelle car le profil de nombre d’entre eux a changé, et l’exigence d’un retour sur investissement rapide a souvent remplacé une vision à long-terme. Enfin, on ne peut pas accepter que le thé soit coupé avec un autre pour faire baisser son prix de revient, ni que l’acheteur soit indéfiniment la variable d’ajustement de cette équation.
Une solution pourrait être celle-ci : des ouvriers plus qualifiés, mieux rémunérés, moins nombreux, des tâches davantage mécanisées à condition que cela ne se fasse pas au détriment de la qualité, notamment en haute saison. Ou alors, autre solution possible : que les plantations achètent les feuilles aux paysans auxquels on aurait rendu les terres. A charge pour eux de récolter les feuilles. Ils négocieraient avec l’une ou l’autre factory le fruit de la cueillette, prendraient à leur charge les activités de taille… Et la plantation se consacrerait à la transformation de la feuille de thé, puis à sa commercialisation. Si l’on est aussi attaché que je le suis au Pays des Orages (Dorje-Ling) et que l’on rêve à un avenir radieux, voici de possibles solutions. Il en existe sûrement d’autres.
La face sombre du thé
En ces temps de manifestations et de débordements divers, à l’heure où les mots « blacks » et « darks » envahissent notre quotidien, je voudrais vous dire que le thé aussi comporte une face sombre. Les galettes de pu er, pour ne pas les nommer, sont constituées de thé fermenté, donc de thé sombre puisque c’est ainsi que les Chinois ont décidé de les distinguer, il y a de ça plus d’un millénaire. Sitôt étuvées, ces feuilles sont compressées en blocs lesquels épousent la forme d’une brique, d’une galette ou, plus bucolique, d’un nid d’oiseau. Ces thés compressés – que l’on pourrait désigner ici en anglais par l’appellation « dark blocs » -, se bonifient avec le temps. Au moment de les déguster, on les brise sur un côté et les feuilles s’émiettent. Ce sont elles que l’on infuse, de préférence dans un gaiwan et plusieurs fois de suite, jusqu’à ce qu’elles aient donné tout ce qu’elles avaient à nous rendre.
« Du temps donné aux moustiques »
Si vous ne priez pas, en Inde, c’est du temps donné aux moustiques, écrit Henri Michaux, et cela est particulièrement vrai de la ville de Bénarès que les Indiens nomment de nos jours Varanasi. Ici la religion se rencontre à tous les coins de rue et attire chaque soir, sur la rive du fleuve sacré, une foule immense. Il faut veiller jusque tard pour que de la cité ne reste que ses fantômes et cette ferveur encore palpable entre les fumées d’encens et les bougies chargées d’amour envers un disparu. Quant aux ablutions et quelle que soit l’heure du jour, c’est chacun son style.
Au Malawi, la plantation Satemwa fête ses cent ans
Au Malawi, la plantation de Satemwa fête ses 100 ans. L’Afrique, j’ai mis du temps à m’y intéresser. J’avais déjà pas mal à faire avec l’Asie. Et puis à force de recevoir des sollicitations, à force de curiosité et pour en avoir le cœur net, savoir si je pourrais un jour trouver de l’aussi bon thé en Afrique qu’en Asie, quand bien même les plantations seraient autrement plus récentes, je m’y suis rendu.
J’ai commencé par le Malawi. Un pays d’une rare beauté. Des champs de thé baignés d’une autre lumière. Une terre rouge. Des visages différents. Les mêmes enfants que partout qui vous courent après, déchainés, hilares. Et Alex, le planteur, depuis trois générations, qui a créé un atelier dans son imposant bâtiment afin de mettre au point des thés rares. Le début d’une belle aventure. Une merveilleuse découverte. Joyeux anniversaire à tous les hommes et les femmes de Satemwa.
C’est le bouquet !
Au Pérou, le thé vaut si peu cher, il est si peu demandé que la moitié de la production part chez les fleuristes. Les rameaux du théier tiennent longtemps en bouquet. Mais cela est tout de même un peu triste pour les fermiers qui se privent ainsi, faute de savoir-faire, faute d’une demande plus soutenue, de précieux revenus. Ceux-ci leur permettraient de vivre correctement et de développer leur activité. Et c’est mon rôle ainsi que celui de Palais des Thés que de les aider à manufacturer des lots de thé de meilleure, voire d’excellente qualité, et de faire connaître leur travail.