Je voyage le plus souvent seul. Je pars seul, je reviens seul. Et cette solitude me pousse à aller vers les autres, à être plus facilement accepté par eux, à vivre avec eux. Seul, on s’ouvre aux autres. On a tous besoin de l’autre. Sans compagnon de voyage, on fait davantage de pas en avant pour épouser la culture de celles et ceux que nous rencontrons. Seul, on est plus vulnérable, plus perméable, plus à l’écoute. Cela tombe bien, je voyage pour écouter.
Pensées
Grâce à vous
Je visite beaucoup d’endroits qui donnent envie de ne plus en repartir, je me trouve face à des paysages de rêve, une nature magnifique, je rencontre des gens d’une grande gentillesse, mais je reviens toujours, je reviens avec de délicieux thés, souvent, c’est mon métier, et puis avec ces photos que je peux partager avec vous, que je veux partager avec vous et qui sont aussi une manière pour moi de prolonger le voyage, des jours, des semaines plus tard. Ces photos, je vous les montre ici, je vous les explique en quelques lignes et cet exercice me transporte. Grâce à vous je suis revenu, je suis face à ces montagnes qui m’ont vu passer un peu trop vite et j’ai tout loisir de les contempler, ici, en votre compagnie.
Dans l’Himalaya, un accueil en musique
Dans l’Himalaya, on aime la musique. Dès qu’une occasion se présente, on sort son instrument, parfois une guitare, parfois quelque chose de plus traditionnel et on chante, on danse. Ici, en pays Limbu et pour fêter ma venue chacun a revêtu l’habit traditionnel. Jusqu’au dernier rayon du soleil on va jouer, danser face aux montagnes magnifiques. Plus tard on allumera le feu. Un pur moment de bonheur.
Ici, Shiva
D’un pays à l’autre les divinités changent et à l’heure où certains fêtent Noël, sur d’autres continents on vénère Shiva, ou bien on prie Allah, ou encore suit-on les préceptes de Bouddha. De par mon métier j’ai la chance de me frotter à des gens de culture différente, de religion différente et cette richesse me réjouit. Par bonheur, nous ne pensons pas encore tous la même chose, selon la terre qui nous a vu naître nous n’avons pas les mêmes coutumes, les mêmes rites, nous ne parlons pas les mêmes langues et pourvu que cela dure aussi longtemps que l’univers. Cela rend le voyage passionnant. Il y a des gens qui croient, d’autres qui ne croient pas – même s’ils sont rares dans les coins d’Asie et d’Afrique que je fréquente. Et parmi celles et ceux qui croient j’observe une multitude de rites différents. On prie devant un mur, depuis la chair d’une église, au pied d’un minaret, autour d’un stupa, on prie le vent, on prie le feu, on dépose des offrandes au pied de simples statuettes. Quel que soit celui ou celle à qui vous confiez vos prières et quand bien même vous n’en confieriez à personne, je vous souhaite de Joyeuses Fêtes !
En silence
J’aime le silence. Je déteste que l’on fasse du bruit pour rien. Je n’ai pas la télévision. Je ne vis pas la nécessité d’écouter de la musique en boucle. Je constate que beaucoup de personnes ont peur du silence. Elles vivent avec des écouteurs sur les oreilles, elles parlent même si personne n’écoute, elles s’agitent avec le pouce sur le clavier d’un téléphone. Elles comblent un vide qui ressemble à une menace. Mais de quoi avoir peur ? Je suis heureux dans le silence. Je suis heureux au milieu de la nature, à l’écart du bruit des hommes. Pour les photos, c’est pareil. Une belle photo n’a pas besoin de commentaire. Pas besoin de bruit. Il suffit de la contempler.
Penser à se réjouir
Il y a quelques jours, lors d’une marche dans un coin perdu du Népal, sur un chemin de terre sinuant entre hameaux et champs de thé, je me suis souvenu de mon premier voyage dans ce pays il y a un peu plus de 10 ans. Je me suis souvenu du couvre-feu, de la guerre, des interdictions de circuler la nuit, de l’armée qui avait peur, qui arrêtait votre véhicule au détour d’une route, vous en faisait descendre et braquait sur vous une arme automatique. Je me suis souvenu des Maoïstes qui rançonnaient les villageois, qui leur prenaient leurs biens s’ils ne pouvaient payer leur impôt, ou bien parfois leur enlevait un fils. Je me souviens des récits d’exécution, d’un père ou d’une mère en pleurs, je me souviens de toutes ces douleurs-là et aujourd’hui, sur mon petit chemin qui serpente au milieu d’une nature splendide, je me dis que parfois on oublie de se réjouir, on oublie de regarder ce qui va bien. Il est facile de passer sa vie à soupirer, comme si tout était mieux hier, comme si tout foutait le camp alors que parfois le monde s’améliore, dommage de ne pas s’en rendre compte, dommage d’oublier de se réjouir. Alors je me suis arrêté de marcher, j’ai regardé autour de moi, j’ai regardé ce splendide paysage dans ce pays en paix, dans ce pays dont la guerre avait disparu. J’ai pris tout mon temps pour ça. Tout mon temps à contempler. A me réjouir. Parfois le monde est beau.
La tête dans les nuages
Les montagnes recouvertes de théiers montent si haut dans le ciel et les nuages tombent parfois si bas sur terre qu’il ne reste alors aucune place pour le ciel. Les nuages jouent à recouvrir de brume le tapis verdoyant des théiers, les enveloppent d’un voile de coton, les caressent, et puis s’en vont. Je pourrais rester des heures, dans chaque champ de thé que j’arpente, à contempler la beauté des paysages. Et plus je grimpe, plus je suis récompensé. Le thé ne pousse pas au-dessus de 2.000 ou 2.200 mètres mais à cette altitude-là on peut déjà s’offrir des vues à couper le souffle. Si la brume le veut bien.
À chacun son nirvâna
Je vous écris du Nirvana Garden Hotel de Katmandou. Dans la culture bouddhiste le nirvâna exprime un état de béatitude et cette béatitude je la trouve dans les montagnes du pays lorsque je déguste des thés sublimes devant un paysage préservé souvent fait de jungle et de tiers bien alignés. L’harmonie entre l’expérience de la dégustation et la contemplation de la nature me comble de bonheur. Demain je pars pour la vallée d’Ilam, à l’est du pays, rencontrer des fermiers que je connais et en découvrir de nouveaux.
30 printemps !
En attendant la pluie
Je vous écris de Kolkata. Je vous écris depuis cette ville que j’aime et qui n’a pas volé son nom de Cité de la Joie. L’ancienne Calcutta est aussi la ville du thé. la plupart des plantations de Darjeeling et d’Assam ont ici un bureau et une salle de dégustation. Lorsque je ne vais pas à Darjeeling, faute de temps, deux jours passés ici m’offrent un parfait panorama de la production du moment. Je les passe à rendre visite à chacun de mes amis en charge de l’exportation du thé et à leur poser toutes les questions possible. S’ils ont reçu des échantillons de thé en provenance des montagnes nous les goûtons ensemble. Je peux ainsi vous dire que la situation n’est pas bonne à Darjeeling. Il n’a pas plu une seule goutte depuis le mois d’octobre. La température est supérieure de deux degrés à la normale mais, sans eau, les bourgeons poussent à une allure qui désespère les planteurs.
Une fois mes interviews terminés, je me promène jusqu’à la rive du fleuve et regarde passer les eaux du Gange. Le pont de Howrah constitue l’un des symboles de la capitale du Bengale-Occidental. Toutes ces petites lumières allumées, je les imagine comme autant de petites prières pour faire venir la pluie.