Pensées

30 printemps !

24 mars 2017
30 printemps !
Cela fait tout juste 30 ans ce mois-ci que ma vie a changé. Rien ne me destinait au commerce du thé. La première boutique Le Palais des Thés a ouvert en mars 1987, dans une petite rue perdue au fond du sixième arrondissement de Paris. Il a fallu du temps. D’une boutique, puis deux, puis trois, peu à peu une marque est née. L’apprentissage a épousé le même rythme. Il en a fallu des voyages, des rencontres. Et que dire de la fidélité des clients, sinon qu’elle nous touche toujours autant. A chaque nouvelle inauguration d’une boutique je rencontre des clients qui se souviennent des débuts, qui sont là depuis le premier jour ou presque, et toujours cette même émotion.
30 ans ont passé et l’enthousiasme n’est pas seulement intact, il est plus fort aujourd’hui qu’au premier jour. Il y a de quoi être émerveillé par ce qui nous attend. Nous avons du pain sur la planche. Plus vous en savez dans un domaine aussi riche et varié que le thé et plus vous prenez conscience de l’immensité de ce que vous avez encore à apprendre. Pour le thé comme pour le vin, une vie ne suffit pas. Je vous donne rendez-vous dans 30 ans. D’ici-là nous nous préparons à de nouvelles dégustations, de nouvelles rencontres, de nouvelles découvertes, nous nous préparons à toujours mieux comprendre le thé et les gens qui le font, à faire du mieux que nous pouvons pour vous offrir ce que j’aimerais être la plus belle sélection de grands crus au monde. Et ce tout en respectant les gens et en respectant la terre. En n’abîmant ni les uns ni les autres mais au contraire en pensant loin devant, en pensant à celles et ceux qui suivront.
Et comme nous sommes à l’heure du printemps qui s’éveille, à l’aube de ces 30 prochaines années, voici pour vous des théiers en fleurs.


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En attendant la pluie

10 mars 2017
En attendant la pluie

Je vous écris de Kolkata. Je vous écris depuis cette ville que j’aime et qui n’a pas volé son nom de Cité de la Joie. L’ancienne Calcutta est aussi la ville du thé. la plupart des plantations de Darjeeling et d’Assam ont ici un bureau et une salle de dégustation. Lorsque je ne vais pas à Darjeeling, faute de temps, deux jours passés ici m’offrent un parfait panorama de la production du moment. Je les passe à rendre visite à chacun de mes amis en charge de l’exportation du thé et à leur poser toutes les questions possible. S’ils ont reçu des échantillons de thé en provenance des montagnes nous les goûtons ensemble. Je peux ainsi vous dire que la situation n’est pas bonne à Darjeeling. Il n’a pas plu une seule goutte depuis le mois d’octobre. La température est supérieure de deux degrés à la normale mais, sans eau, les bourgeons poussent à une allure qui désespère les planteurs.
Une fois mes interviews terminés, je me promène jusqu’à la rive du fleuve et regarde passer les eaux du Gange. Le pont de Howrah constitue l’un des symboles de la capitale du Bengale-Occidental. Toutes ces petites lumières allumées, je les imagine comme autant de petites prières pour faire venir la pluie.

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Sakurajima

3 février 2017
Sakurajima

 

Je quitte demain le Japon, je quitte cette île de Kyushu que j’aime, cette ville de Kagoshima, cette région de volcans qui comptent parmi les plus actifs de l’archipel, je quitte ces beaux champs de thé isolés dans les montagnes et dont je vous montrerai des photos bientôt mais aujourd’hui je voudrais partager avec vous ma photo préférée, la vue du volcan qui se nomme Sakurajima, cliché pris depuis le jardin de Senga-en, au nord de Kagoshima. Cette baie est l’une des plus belles du monde et le thé pousse aussi bien à l’intérieur des terres que sur certaines îles au large. Du thé vert, bien sûr, mais aussi des thés noirs pas forcément toujours exceptionnels mais qui commencent à se vendre jusqu’à Tokyo.

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Eloge de l’ombre

20 janvier 2017
Eloge de l’ombre

Si vous voulez faire connaissance avec le Japon, je vous conseille, outre l’Empire des Signes, de Roland Barthes, l’Eloge de l’ombre de Junichiro Tanizaki. Je l’ai emporté avec moi pour le relire, ici, au Japon. Il y traite du rapport que l’on entretient avec la lumière en Orient et en Occident, lumière diffuse contre lumière directe, du goût pour ce qui brille, d’un côté, de la préférence pour le mate, de l’autre. En Occident, nous recherchons l’éclairage absolu, ailleurs, comme au Japon, la pénombre. Tanizaki parle aussi de la laque, de l’obscur, de la cuisine japonaise qui s’accorde avec l’ombre. Il dit, à propos de cette cuisine -des mets aussi bien que des plats dans lesquels elle est servie -, « …dans le choc de la lumière brutale, ses vertus esthétiques voleraient en éclat ». Il dit aussi, quelque chose que j’aime beaucoup, « Nous autres Orientaux, nous créons de la beauté en faisant naître des ombres dans des endroits par eux-mêmes insignifiants ».

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Le goût du détour

13 janvier 2017
Le goût du détour

Beaucoup imaginent que je visite les plantations de thé uniquement au moment des récoltes. Il n’en est rien. J’aime aller à la rencontre d’un planteur ou d’un fermier lorsqu’il a du temps à me consacrer et n’a rien à me vendre. Lorsqu’il n’est pas préoccupé à chaque instant par la qualité du thé qu’il est en train de produire. Au Japon, si je visite des champs de thé la première quinzaine du mois de mai, époque durant laquelle sont manufacturés les plus beaux thés du pays, le fermier n’aura que très peu de disponibilité. Il va s’occuper de moi, bien sûr, mais il sera sous tension car depuis tôt le matin jusqu’à la tombée de la nuit il passera de son champ à l’usine, à défaut de pouvoir être dans les deux en même temps. En revanche, en ce début janvier, ici, au Japon, les fermiers ont du temps. On va pouvoir s’asseoir ensemble et déguster de nombreux thés, se promener à loisir entre les rangées de théiers, observer chaque outil, chaque machine, comprendre les difficultés du cultivateur, lui poser mille questions puis aller déjeuner ensemble dans une auberge traditionnelle et faire l’éloge des spécialités locales, par l’ouverture de la pièce sur un étang miniature, admirer la beauté des carpes, parler de tout et de rien, c’est ainsi qu’on apprend. Et j’ai appris énormément de choses sur le thé, sur sa culture, en agissant de la sorte, c’est-à-dire en prenant mon temps. Bien davantage qu’en venant simplement en pleine saison et en me dépêchant de goûter et d’acheter le thé dont j’avais besoin. Dans la vie, et encore plus au Japon qu’ailleurs, rien ne vaut les détours. Rien ne vaut le fait de prendre son temps. Ne pas avoir peur de le perdre. Il n’y a rien à perdre à aller lentement. J’agis ainsi dans chaque pays de thé. Je viens parfois en pleine récolte mais je sais être aussi là pour écouter, pour apprendre. Ne surtout pas croire qu’en dehors des récoltes il ne se passe rien. Et puis, la lenteur, il faudrait faire son éloge, c’est important la lenteur, surtout en Asie. Ici, fuir la précipitation, l’efficacité, le rendement. Vivre avec bonheur l’expérience du détour.

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Des ponts qui relient les hommes

6 janvier 2017
Des ponts qui relient les hommes

Pour vous exprimer mes vœux de belle année, je choisis la photo d’un pont. J’aime les ponts. J’aime les passerelles, j’aime tout ce qui enjambe les obstacles, tout ce qui relie les hommes à d’autres hommes.  Il y a des gens qui édifient des murs, il y en d’autres qui bâtissent des ponts. Il y a des gens qui s’enferment, qui se clôturent, qui se rêvent ceints de murs, il y en a d’autres qui jettent des cordes, des échelles, des câbles dans le vide, qui font fi des précipices, qui font fi des obstacles, qui font fi des difficultés de toutes sortes, qui défient. Il y a des gens qui ont peur, il y a des gens qui font confiance. Je vous souhaite une année toute en passerelles, en défis, en audace, je vous souhaite de suivre le chemin du cœur.

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Un métier riche en émotions

30 décembre 2016
Un métier riche en émotions

Bien sûr, j’éprouve des émotions. Je ne rentre jamais intact de mes voyages. Oui, mon métier au sens strict consiste à visiter des champs de thé, à parler avec des producteurs, à participer à des dégustations, à comprendre comment on fait le thé. Mais, dans la pratique, mon métier ne s’arrête pas là.  Dans la pratique, il ne s’agit pas simplement de feuilles de thé, d’arbustes, de machines, de saveurs. Avant tout, le thé, ce sont des gens. Ce sont des hommes et des femmes. Ce sont des sourires, des étonnements, des joies, des peines, des rires, des peurs, des curiosités, des inquiétudes, des amusements, des désirs, des défis, des souffrances, des fiertés, des surprises, des espoirs, des rêves… Les hommes et les femmes que je rencontre, là-haut, dans la montagne, me livrent tout cela. Alors, le moindre paysage que je revois, m’émeut. Je repense au moment. Je me souviens des gens. Je me souviens de ce que j’ai compris de la vie en ces lieux. Je me souviens de mes émotions. Je voyage sans cuirasse. Un voyage est comme un naufrage et ceux dont le bateau n’a pas coulé ne connaîtront jamais la mer, écrit Nicolas Bouvier, un auteur que j’affectionne. Alors il m’arrive de couler. De ne pas revenir comme j’étais parti, de n’être plus tout à fait le même au retour. Ou de ne plus vouloir revenir. De me perdre. La vie des gens me touche. Les émotions des autres me touchent. J’ai cette chance incroyable de rencontrer des gens différents de moi, différents à tout point de vue, d’un point de vue culturel, religieux, linguistique, ethnique. Différents, mais semblables en ce que nous sommes humains. Et, souvent, lorsque je redescends d’une montagne après y avoir passé plusieurs jours, j’ai besoin de me poser. De faire une halte avant de rejoindre la vallée, j’ai besoin de m’asseoir au bord de la route, au bord d’un champ, d’une rizière, avant de retrouver la ville, avant d’oublier, oublier pourquoi je quitte cet endroit que j’aimais déjà. Lorsque je redescends de mes montagnes, j’ai besoin de faire une pause, besoin de souffler, besoin que ça n’aille pas trop vite, besoin de rêver, besoin de pleurer, parfois, besoin d’avoir la conscience de ce que je quitte, de ne pas me presser, besoin simplement de respirer, d’emplir une dernière fois mes poumons d’air bleu, de vivre.

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Diversifier ses cultures

9 décembre 2016
Diversifier ses cultures

Cette photo peut vous sembler curieuse et ce, à juste titre : il ne s’agit pas ici de feuilles de thé, mais de menthe. Cependant, cette photo illustre parfaitement un aspect de mon travail. En effet, de nombreux petits producteurs de par le monde font pousser du thé, procèdent à la récolte et vendent ensuite les feuilles fraîches à une coopérative, à un fermier plus important qu’eux-mêmes, ou encore à une société qui va transformer la feuille de thé. Ces petits producteurs peuvent avoir parfois un pouvoir économique fort, quand la demande en feuilles de thé est supérieure à l’offre. Mais, le plus souvent, ils sont dépendants de leur acheteur. Il est donc toujours préférable qu’un petit producteur tire ses revenus en partie du thé, mais en partie seulement, et qu’à côté du thé il développe des cultures de complément : pomme de terre, gingembre, fruits ou autre. Ainsi, il se met à l’abri de toute variation du prix du thé et s’assure une meilleure tranquillité.

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Le bleu et le vert

25 novembre 2016
Le bleu et le vert

Le bleu et le vert sont mes couleurs favorites. Le bleu, parce que la mer m’a beaucoup marqué et cette île en Bretagne sur laquelle j’ai passé tous mes étés d’enfance compte pour beaucoup dans mon apprentissage de la vie. Le bleu qui s’en va, qui revient, au gré des marées, le bleu qui tourne au vert puis au brun lorsque l’estran paraît, le bleu de la houle, le bleu du ciel breton – n’en déplaise aux esprits crachins. Le bleu et puis le vert, le vert des champs de thé, le vert des camélias, vert-sombre ou bien vert-jaune, selon les différents cépages, le vert luisant ou bien mate de la feuille selon que l’on observe son dessus ou bien son dessous. Le vert des rizières qui jouxtent les pentes recouvertes de théiers, le vert des forêts, si essentielles à l’équilibre du climat, le vert-sombre des cryptomeria japonica, cet arbre filiforme, un peu dégarni, que j’admire, de Kyoto à Darjeeling, et dont les aiguilles retiennent si bien les brumes, le vert de l’école buissonnière, que j’ai fréquentée, le vert de la campagne, de mon coin de nature où je me plais tant, les verts nuancés de chaque herbe aromatique avec lesquelles j’assaisonne mes plats, les verts des pousses, les verts du printemps, les verts de la nature qui s’éveille, le vert, symbole de vie.

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« Quelles sont les nouvelles ? »

8 juillet 2016
« Quelles sont les nouvelles ? »

Il y a une chose qu’aucun planteur ne m’empêchera jamais de faire, c’est de marcher, partir en ballade pour une ou deux heures, au moins, chaque jour. J’adore ça. Seul ou accompagné, peu m’importe, j’aime marcher, j’aime aller à la rencontre des gens, j’aime observer la lumière, le temps qui change, la beauté d’une floraison, la couleur d’un torchis, j’aime m’asseoir sur le pas d’une maison, échanger des sourires avec des gens dont je ne sais rien mais avec lesquels je suis lié, parce que nous vivons sur la même planète, bien sûr, et parce que le thé fait sans doute partie de leur vie à eux aussi. On apprend beaucoup en marchant : sur la façon dont vivent les gens, sur les méthodes de culture du thé, sur le climat, sur la géographie, et puis il y a ces couleurs, ces odeurs. Il y a des bêtes étranges, bien sûr, des serpents, parfois, dont on ignore tout, des insectes invraisemblables, des trucs qui font des bonds. Mais je suis bien. Je m’assoies sur un coin de rocher quand j’ai envie d’admirer quelque chose, quand c’est beau, tout simplement, et parce qu’il fait bon prendre son temps, se demander à quoi l’on sert sur notre petite planète, quel est le sens de la vie, le thé c’est la lenteur. Et puis le thé vous apprend le calme, il vous apprend à respirer, au propre comme au figuré, il vous apprend à arrêter de vous agiter sans plus savoir pourquoi vous courrez de droite à gauche, du matin jusqu’au soir.
Ici, à trois heures au nord de Kigali, sur les petits sentiers perdus dans la montagne, « bonjour » se dit d’une façon très jolie. Lorsque vous croisez quelqu’un il vous lance en levant ses bras, comme on ferait avec un ami que l’on aurait pas vu depuis longtemps, un joyeux « Amakuru ! ». Et son bonjour signifie, « Quelles sont les nouvelles ? ».

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