Le temps de la préparation à la dégustation est un temps privilégié. J’observe les gestes de celui qui officie, ses gestes sont minutieux. Les feuilles sont présentées sur un support qui permet de les observer, ensuite le thé est pesé au dixième de gramme, puis vient de temps de l’infusion, toujours précise, minutée. Chaque thé doit avoir été infusé dans des conditions strictement identiques. Avant de passer à la dégustation elle-même, le temps que les liqueurs refroidissent un peu, je prends souvent quelques photos de la pièce elle-même, ou bien des photos des gestes, des visages, ou encore des paysages. Je me sers souvent des vitres. Les reflets sont imprévisibles. Je photographie à travers les vitres devant des interlocuteurs toujours perplexes. Ici, à Kanchenjunga tea estate, à travers la vitre grillagée, les gestes du préparateur sur fond de montagne et de jardin de thé.
Dégustation
Le « tea pet », meilleur compagnon de l’amateur de thé
Être disponible
Déguster des dizaines de thés comme je le fais tous les jours de l’année requiert une disponibilité de l’esprit importante. On ne peut pas comparer plusieurs thés, donner un point de vue sur la richesse aromatique d’une liqueur, si l’on est pressé, stressé, préoccupé, ou bien si l’on a tout simplement l’esprit ailleurs. Déguster nécessite d’analyser et cette analyse sensorielle demande beaucoup de présence. Lorsque je ne suis pas exactement dans l’état d’esprit qui convient, ce qui peut tous nous arriver, s’il y a du bruit autour de moi ou bien que je suis gêné par quoi que ce soit, si je suis tendu, si j’ai la moindre contrariété, je vais m’isoler. Et je prends alors tout le temps nécessaire pour contempler un beau paysage, comme celui-ci. Je le regarde aussi longtemps qu’il faut. Je reste concentré sur son spectacle. Je l’admire jusqu’à temps que je n’ai plus rien d’autre à l’esprit que lui, je m’y plonge au sens propre du terme et ce jusqu’à ce que je sois prêt, que je sois éloigné de toute distraction, que je sois libre, tout simplement disponible. Alors je peux me diriger vers mes sets et accueillir les arômes des thés que je déguste.
Cet exercice de concentration est un exercice très simple que je vous recommande avant une dégustation.
Des brisures trop exposées
Il arrive que l’on me fasse déguster de très bons thés avant de m’en préparer d’autres qui ne me disent rien qui vaille. Des thés brisés, par exemple. Je les goûte sans conviction et m’en détourne au plus vite. Si la lumière est bonne et si l’endroit me plaît, je m’amuse alors avec mon appareil-photo tandis que mon hôte termine sa dégustation. Je joue avec les réglages de mon EOS5D comme une façon d’ironiser sur la qualité des thés qui sont devant moi. Je les déforme par jeu, ces thés que je n’aime pas, je surexpose, comme ici, je tords la réalité, je cadre de travers, je me fiche bien de ces liqueurs trop noires, de ces brisures qui développent une astringence carabinée et sont dénuées de toute subtilité. Je préfère essayer de faire quelque chose de joli avec mon joujou sous l’œil intrigué de mon hôte qui aimerait bien que je goûte plus et photographie moins.
Un désir de partager mes connaissances
Je consacre une partie importante de mon temps à dispenser des formations. Entre différentes sessions de tea-tasting, entre deux voyages, j’accueille à ma table de dégustation collègues ou bien élèves. Je tiens beaucoup à nourrir les compétences de mes collaborateurs et à partager avec eux les connaissances que j’ai eu la chance d’acquérir au cours de mes lointaines escapades. Les dégustations donnent lieu à de nombreux échanges, à la fois sur la qualité des thés, sur leur profil organoleptique (le toucher, les odeurs, les saveurs). Ensemble, nous discutons de la façon dont les sensations agissent entre elles et se soutiennent les unes les autres. Et comme j’ai la chance d’être un familier des lieux de productions, la discussion se poursuit en général sur la façon dont les thés sont manufacturés et sur mille et un aspects de ce monde incroyable qu’est celui de la culture du thé.
Vive le chaï !
Alors, cette photo que j’ai prise à Kolkata m’amuse. D’abord parce que j’apprécie beaucoup boire du chaï lorsque je suis en Inde. Ensuite, parce que tous les principes du buveur de thé partent ici en fumée. Ce marchand ambulant de chaï fait bouillir son eau, met du lait dans son thé, ajoute moult épices et opère sans façons, assis sur un bout de carton posé à même le trottoir, et sans faire de chichis. C’est aussi cela, le thé : des gestes tout simples, de l’attention et, dans la tasse, une boisson absolument délicieuse. Vive le chaï !
Comprendre les sensations en bouche
Trois sens sont concernés lorsque l’on a le thé en bouche et que l’on en analyse la liqueur : le goût – il se concentre sur les saveurs (sucré, salé, acide, amer, umami…)-, l’odorat – et on le rend plus performant encore grâce à la technique de la rétro-olfaction (technique qui consiste à expirer l’air par le nez pour amener davantage de molécules olfactives dans la cavité rétro-nasale)-, et le toucher qui nous indique bien sûr le chaud ou le froid, l’astringence ou bien le soyeux, entre autres sensations tactiles. Si l’on veut décrire un thé, il est essentiel de bien comprendre ce qui est du domaine des saveurs, du domaine des notes olfactives ou encore du domaine du toucher. Cela va nous aider aussi lorsque nous dégustons à plusieurs, afin de partager nos sensations.
La dégustation du thé, une histoire de sens
Lorsque je donne un cours à l’École du Thé, ou bien lorsque j’organise une dégustation pour des collègues, l’une des premières choses que je fais est de leur poser une question très simple : une fois que vous avez mis un aliment dans votre bouche, combien de sens sont en contact avec cet aliment et lesquels ? Et ça ne manque pas, les réponses varient. Or il est essentiel pour déguster, et c’est valable pour n’importe quel aliment, de comprendre quels sont les sens concernés et ensuite de se construire le vocabulaire adéquat.
La liqueur du thé
L’observation de la liqueur constitue l’une des premières étapes de la dégustation d’un thé. Tandis que la température de la tasse diminue lentement, on prête attention à la couleur du liquide. Un thé vert va donner quelque chose de pâle, un thé noir, une teinte plus cuivrée. Cela ne signifie pas que le thé le plus sombre ait infusé plus longtemps, ni qu’il possède un parfum plus développé que celui de son voisin. En effet, on trouve des thés verts d’une puissance aromatique remarquable et ce, même après un temps d’infusion assez court. On ne peut donc pas déduire de cette photo que le thé le plus aromatique sera le plus coloré des deux.
Un thé extrêmement brisé
Dans certaines régions du Sri Lanka, on produit un thé si fin, si brisé, si noir qu’il en devient imbuvable. Ou alors il faut y ajouter du lait, du sucre, ou encore le rallonger d’eau.