Thé et gastronomie
Yorozu, à Fukuoka, un moment unique
La ville japonaise de Fukuoka n’est peut-être pas la plus visitée par les touristes occidentaux mais si vous allez là-bas et que vous aimez les expériences gastronomiques inédites, foncez chez Yorozu. Il faut réserver d’avance, il faut parler japonais ou bien être accompagné de quelqu’un qui parle cette langue, c’est impératif, et avoir deux heures devant soi. Ensuite, vous vous laissez faire et Suguru Tokubuchi vous fera déguster des associations de thé et de divers alcools, préparations concoctées devant vous, dans un cadre intimiste qui rend encore plus précieuse chaque gorgée, chaque bouchée choisie pour accompagner l’un ou l’autre des cocktails. Un moment unique.
Dégustation avec Manuel, Meilleur Sommelier de France
Meilleur Sommelier de France, Manuel Peyrondet s’intéresse aussi au thé. Il est venu déguster avec moi quelques grands crus, préparés à température ambiante, c’est-à-dire ayant infusé 1 heure précisément dans une eau à 20 degrés. Nous avons discuté des accords thés et mets, sous l’œil de Vanessa Zochetti qui nous interviewait pour le prochain numéro de Bruits de Palais. Déguster avec un sommelier, a fortiori avec Manuel, ancien sommelier du George V, ancien chef-sommelier chez Taillevent puis au Royal-Monceau représente une expérience unique. Dans le monde de la gastronomie, nous vivons souvent chacun dans notre bulle, concentré sur le produit auquel nous nous consacrons, le vin, pour Manuel, le thé, pour moi et cela fait un bien fou de sortir de ses frontières, de confronter ses ressentis, de se frotter à des textures, à des arômes, à des saveurs différentes. Cela donne des échanges particulièrement enrichissants.
Et pour celles et ceux qui ne boiraient pas que du thé, Manuel anime un club d’amateurs, excellente adresse pour qui souhaite se constituer une cave et participer à des dégustations : www.chaisdoeuvre.com
(photo : Emmanuel Fradin)
Du thé et du style
Analyse de la feuille humide
Lorsque l’on déguste du thé, on s’intéresse à tous les stades de la feuille. On s’intéresse à la liqueur, bien sûr, que l’on déguste, on s’intéresse aussi à la feuille sèche (est-elle entière ou brisée ? est-elle composée de bourgeons ? quelle est la couleur des feuilles ? sont-elles homogènes ?). Enfin, la feuille infusée a beaucoup à nous apprendre. On va la sentir, la presser comme le fait ici Nirananda ACHARYA. Il est fréquent que l’odeur de la feuille humide nous donne des indications aussi précises que la dégustation de la liqueur elle-même. La feuille humide raconte à sa manière chaque étape de la fabrication. On peut y percevoir le moindre défaut ou, au contraire, être séduit par son incomparable bouquet.
Une belle dégustation en perspective
L’Ecole du Thé forme les équipes de Palais des Thés pour que leurs connaissances soient au meilleur niveau possible. L’Ecole du Thé forme également des particuliers qui souhaitent s’initier au thé ou bien se perfectionner à sa dégustation. Enfin, L’Ecole du Thé forme les professionnels de la gastronomie. Récemment, les équipes de l’hôtel Ritz, à Paris, ou encore de l’hôtel Bristol, sont venus se former. Maîtres d’hôtel et sommeliers découvrent le thé, souvent avec passion, certains en savent déjà long et ceux-là aussi ont soif d’apprendre. Voici comment se prépare une dégustation, celle-ci a eu lieu au sein de l’Institut Paul Bocuse il y a quelques jours : 3 sets à déguster par participants pour déguster 3 grands crus (Jade oolong de Madame Ming, Dong Ding Antique, Pu Erh Menghai XO Milésime 1999). Enfin, 5 thés ont été infusés dans l’eau froide et seront servis dans des verres à pied : Ryogôchi Saemidori Shicnha Ichibancha 2017, Kagoshima Benifuki de Monsieur Kumada, Népal Kanchenjunga Gold Récolte Tardive, Satemwa Dark et enjin Jukro de Corée. Dans de petites soucoupes on peut observer les feuilles de thé. En revanche, les noms des thés n’y figurent pas, j’aime faire déguster à l’aveugle, sinon en cachant la couleur du thé au moins en ne disant pas ce que l’on goûte pour laisser à chacun la possibilité de s’ouvrir à quelque chose de nouveau, sans préjugé. Nous sommes ici dans une approche gastronomique du thé. Nous sommes dans l’éveil des sens et dans la description d’une texture, d’une saveur et la reconnaissance des arômes. Mon rêve : faire naître des vocations et donner envie aux participants de devenir un jour « Tea Sommelier » !
Le temps de la préparation
Le temps de la préparation à la dégustation est un temps privilégié. J’observe les gestes de celui qui officie, ses gestes sont minutieux. Les feuilles sont présentées sur un support qui permet de les observer, ensuite le thé est pesé au dixième de gramme, puis vient de temps de l’infusion, toujours précise, minutée. Chaque thé doit avoir été infusé dans des conditions strictement identiques. Avant de passer à la dégustation elle-même, le temps que les liqueurs refroidissent un peu, je prends souvent quelques photos de la pièce elle-même, ou bien des photos des gestes, des visages, ou encore des paysages. Je me sers souvent des vitres. Les reflets sont imprévisibles. Je photographie à travers les vitres devant des interlocuteurs toujours perplexes. Ici, à Kanchenjunga tea estate, à travers la vitre grillagée, les gestes du préparateur sur fond de montagne et de jardin de thé.
La journée des Tea Sommeliers
Travailler ensemble, c’est bien, se retrouver autour de moments de bonheur, c’est mieux. Hier avait lieu la journée des Tea Sommeliers, une journée que je consacre à celles et ceux qui ont obtenu le précieux diplôme. Le but de cette journée ? Passer de bons moments en relation avec le thé, la gastronomie ou avec une expérience sensorielle.
Nous avons commencé par déguster toute la sélection 2017 des Darjeeling de Printemps, que je termine tout juste, avant de rejoindre Nathaly de l’Esprit-Cuisine pour un repas mets et thés. Nous avons préparé avec Nathaly – remarquable pédagogue, joyeuse et passionnée – un onglet de bœuf de l’Aubrac, crème à l’anguille au thé Bourgeons de Yunnan Premium. Un délice, dégusté avec le thé du même nom. Il venait après un velouté d’herbes fraîches servi avec un Taiwan Si Ji Chun et précédait un succulent biscuit streusel, chocolat et sésame noir, servi avec le fameux Jukro de Corée du Sud.
Dans l’après-midi, de retour en salle de dégustation, nos Tea Sommeliers ont découvert quelques thés rares, à l’aveugle, bien sûr, avant de décider tous ensemble s’ils méritaient ou non l’appellation de Grands Crus. Parmi les curiosités dégustées, un goishicha du Japon, un thé sombre compressé du Hunan, de petites billes de thé du Sri lanka, un thé de la région de Nainital (Inde), ou encore un thé noir de Colombie !
Le « tea pet », meilleur compagnon de l’amateur de thé
Une association heureuse
L’association des thés et des mets est une affaire sérieuse. Par association thés et mets, il faut entendre le fait d’associer un thé avec un met, et que cela constitue une association heureuse pour les deux protagonistes. Et c’est là que se situe la difficulté. Si j’associe, par exemple, un Genmaicha avec un financier aux noisettes, cela n’a d’intérêt que si les notes végétales et grillées du thé mettent en valeur le financier, et qu’après avoir avalé une bouchée du même financier, ce thé vert du Japon apparaît sous un jour à la fois nouveau et avantageux. Il y a quelques semaines, j’ai passé six heures d’affilées en compagnie du chef Michel Lentz, au Cristal Room Baccarat, à Moscou, à déguster, en sa compagnie une profusion de bouchées, tartelettes, crèmes, madeleines, financiers, meringues, glaces et sorbets de son cru, accompagnés d’autant de thés, afin de trouver ensemble autant d’associations heureuses. Mention spéciale à la crème au caramel de l’enfance qui se déguste avec un Dan Cong pour la partie supérieure tandis que la liqueur au fond de la verrine constitue le plus réussi des mariages accordée à un Jin Zhen, aux notes chaudes de fruits compotés, de cire et de miel.