Je vous écris de Kolkata. Je vous écris depuis cette ville que j’aime et qui n’a pas volé son nom de Cité de la Joie. L’ancienne Calcutta est aussi la ville du thé. la plupart des plantations de Darjeeling et d’Assam ont ici un bureau et une salle de dégustation. Lorsque je ne vais pas à Darjeeling, faute de temps, deux jours passés ici m’offrent un parfait panorama de la production du moment. Je les passe à rendre visite à chacun de mes amis en charge de l’exportation du thé et à leur poser toutes les questions possible. S’ils ont reçu des échantillons de thé en provenance des montagnes nous les goûtons ensemble. Je peux ainsi vous dire que la situation n’est pas bonne à Darjeeling. Il n’a pas plu une seule goutte depuis le mois d’octobre. La température est supérieure de deux degrés à la normale mais, sans eau, les bourgeons poussent à une allure qui désespère les planteurs.
Une fois mes interviews terminés, je me promène jusqu’à la rive du fleuve et regarde passer les eaux du Gange. Le pont de Howrah constitue l’un des symboles de la capitale du Bengale-Occidental. Toutes ces petites lumières allumées, je les imagine comme autant de petites prières pour faire venir la pluie.
Inde
Le bleu et le vert
Le bleu et le vert sont mes couleurs favorites. Le bleu, parce que la mer m’a beaucoup marqué et cette île en Bretagne sur laquelle j’ai passé tous mes étés d’enfance compte pour beaucoup dans mon apprentissage de la vie. Le bleu qui s’en va, qui revient, au gré des marées, le bleu qui tourne au vert puis au brun lorsque l’estran paraît, le bleu de la houle, le bleu du ciel breton – n’en déplaise aux esprits crachins. Le bleu et puis le vert, le vert des champs de thé, le vert des camélias, vert-sombre ou bien vert-jaune, selon les différents cépages, le vert luisant ou bien mate de la feuille selon que l’on observe son dessus ou bien son dessous. Le vert des rizières qui jouxtent les pentes recouvertes de théiers, le vert des forêts, si essentielles à l’équilibre du climat, le vert-sombre des cryptomeria japonica, cet arbre filiforme, un peu dégarni, que j’admire, de Kyoto à Darjeeling, et dont les aiguilles retiennent si bien les brumes, le vert de l’école buissonnière, que j’ai fréquentée, le vert de la campagne, de mon coin de nature où je me plais tant, les verts nuancés de chaque herbe aromatique avec lesquelles j’assaisonne mes plats, les verts des pousses, les verts du printemps, les verts de la nature qui s’éveille, le vert, symbole de vie.
Avec Manuela et Nathanaëlle, « Tea Sommelières » diplômées
Vous me suivez ici, sur ce blog, dans mes recherches de thés et autres séances de dégustation, et je vous en remercie. Parfois, je vous parle également des associations thés et mets et je devrais aussi vous raconter les dégustations croisées que je fais avec un immense plaisir en compagnie de chefs ou bien de dégustateurs d’autres produits fins (chocolats, huile, etc.)
Mais, il est une autre mission qui m’habite et qui est celle de la transmission du savoir. Tout ce que je sais sur le thé, ce sont les fermiers et les planteurs qui me l’ont appris. Voyage après voyage, rencontre après rencontre, dégustation après dégustation. A longueur d’année. Cela fait trente ans que j’apprends et j’en sais tout juste assez pour comprendre que je n’aurais jamais le temps de faire le tour de la question – une vie ne suffit pas, et de très loin, à tout savoir du thé. Depuis le commencement de l’aventure de Palais des Thés, et assez vite à travers l’Ecole du Thé, la transmission du savoir a pris une place importante dans la raison d’être de l’entreprise. Aujourd’hui, un cap très important a été franchi, j’ai mis au point, avec l’aide de ceux de mon entourage qui sont le plus expert, un examen à la fois théorique et pratique, afin de reconnaître , valoriser, encourager, les meilleurs experts en thé. A ce jour, cinq personnes ont reçu le fameux diplôme de Tea Sommelier. Me voici avec deux d’entre elles, Nathanaëlle, responsable de boutique à Marseille et Manuela, conseillère de vente à Paris, que j’avais invitées à m’accompagner à Darjeeling. Bravo à toutes deux !
Le « Pays des Orages »
Les paysages de Darjeeling comptent parmi les plus incroyables qui soient. Non pas qu’ils dépassent tous les autres du point de vue de l’esthétique, mais la rapidité avec laquelle les paysages de cette région changent est unique. On passe d’une tempête de grêle à un beau ciel bleu en moins de temps qu’il n’en faut pour le dire et les brumes sont si épaisses, parfois, que le marcheur de ces régions en vient à perdre de vue le bout de ses chaussures. Après tout, le nom Darjeeling vient du tibétain « Dorje Ling » qui signifie le « Pays des Orages », c’est dire si dans ce pays ce sont les cieux qui font la loi. Bien entendu, ces variations climatiques et les violents écarts de température qui les accompagnent ont des conséquences importantes sur la qualité du thé, voici pourquoi à Darjeeling comme au Népal, les caractéristiques des thés de printemps, d’été et d’automne sont si différentes les unes des autres. Dans aucune autre région de thé au monde, on ne voit les thés varier autant, d’une saison à l’autre, sur un plan organoleptique.
Le thé en partage
Je rentre tout juste de Darjeeling. Chaque année, j’invite des responsables de boutique à me suivre dans les plantations. Je me souviens des débuts de Palais des Thés. J’ai passé les trois premières années de cette belle aventure en boutique, au comptoir, à accueillir les clients et à les servir. A l’époque, je n’avais encore jamais vu de théiers. Puis, j’ai pris mon baluchon et je suis parti explorer les montagnes de thé en Chine, au Japon, en Inde, puis d’autres pays. Cela m’a transformé et a bouleversé le lien que je pouvais avoir avec le thé. Le thé est devenu pour moi une passion. Ce lien est devenu fort, riche, puissant. Ma vie a changé.
Voilà pourquoi je veux que les responsables de boutique aient la même chance que moi, celle de découvrir le thé in situ, rencontrer les gens du thé, des cueilleuses aux fermiers en passant par ceux qui transforment la feuille. La chance de comprendre le climat, les sols, les cépages, les méthodes de production. Le thé est un monde à part entière, au même titre que le vin. Il suffit de modifier à la marge un paramètre – une différence d’altitude, ou bien d’orientation, une pente moins inclinée, un cultivar hybride, une averse qui se produit au moment de la manufacture, que sais-je – pour que le thé ait un goût autre. Rien ne remplace l’expérience. Ces responsables de boutique repartent le cœur joyeux et les yeux émerveillés. A leur tour de rêver à ces montagnes brumeuses, à ces visages rencontrés, à ces sourires échangés. Et, surtout, de partager leur rêves avec leurs équipes, leurs clients, leur entourage. Le thé, il faut le vivre pour le comprendre.
Vive le chaï !
Alors, cette photo que j’ai prise à Kolkata m’amuse. D’abord parce que j’apprécie beaucoup boire du chaï lorsque je suis en Inde. Ensuite, parce que tous les principes du buveur de thé partent ici en fumée. Ce marchand ambulant de chaï fait bouillir son eau, met du lait dans son thé, ajoute moult épices et opère sans façons, assis sur un bout de carton posé à même le trottoir, et sans faire de chichis. C’est aussi cela, le thé : des gestes tout simples, de l’attention et, dans la tasse, une boisson absolument délicieuse. Vive le chaï !
Thé de Darjeeling et thés du Népal : deux écoles
Pour des raisons que je ne partage pas, les producteurs de thé de Darjeeling redoutent la concurrence de leurs voisins népalais. Ils estiment que ces derniers les copient et ont la possibilité de vendre moins cher leur production du fait de coûts moins élevés.
Certes, les thés du Népal offrent parfois de très bons rapports qualité-prix, mais ce ne sont pas des copies de Darjeeling. Il existe au Népal des planteurs passionnés qui savent que le Népal doit encore faire ses preuves pour être reconnu dans l’univers du thé et qui, en conséquence, vont chercher à innover. A Darjeeling, on vit davantage sur le confort qu’offre une réputation le plus souvent – mais pas toujours – méritée.
Deux mondes distincts, donc, l’innovation d’un côté, la tradition de l’autre. En cherchant bien et en étant très sélectif, on trouve d’excellents crus très différents des deux côtés de la frontière. Et il serait dommage de se priver des uns comme des autres.
Les Darjeeling se font désirer
Cultiver du thé n’est pas de tout repos. A Darjeeling, après un hiver trop sec, les pluies ont fini par venir mais, il y a quelques jours, une tempête de grêle d’une rare violence s’est abattue et a occasionné des dégâts considérables dans les plantations situées au nord du district. Par chance, entre les pluies et la grêle quelques très beaux lots ont été manufacturés et je suis heureux de vous annoncer l’arrivée prochaine de thés remarquables en provenance de Risheehat, Puttabong, Singbulli, Thurbo Moonlight, North Tukvar, DelmasBari et Turzum.
A propos de Turzum, voici un portrait que j’ai fait en mars d’Anil JHA, l’un des trois planteurs les plus réputés de Darjeeling. Il se concentre ici sur l’odeur de la feuille humide, à même l’intérieur du couvercle du set à déguster.
Le micro climat des plantations de Darjeeling
Dans la plantation de Delmas Bari, où j’étais il y a quelques jours, on arrosait certaines parcelles pour palier à la sécheresse. Sur ce versant de Darjeeling qui fait face au Sikkim, il n’a pas plu depuis octobre dernier. Ailleurs, il est tombé un peu d’eau les jours précédents. Cette disparité de climat d’une plantation à une autre pourtant distantes de quelques kilomètres à peine est l’une des spécificités de Darjeeling. Jusqu’au sein d’une même plantation il peut y avoir des différences de climat considérables. Heureusement, comme on peut le voir sur cette photo, les bourgeons – d’un vert-tendre – commencent à pousser. Sur cette parcelle, encore un ou deux jours de patience avant de pouvoir récolter sérieusement.
L’écharpe de bénédiction
En Inde, pour vous souhaiter la bienvenue, il arrive que l’on vous passe une écharpe de soie autour du cou et que l’on vous bénisse aussitôt. A DelmasBari, j’étais tellement désolé de constater l’état de sécheresse de la terre que devant mes hôtes, j’ai pris l’écharpe qui venait de m’être offerte, pour à mon tour bénir. J’ai béni l’un des théiers de la plantation, au nom de tous les autres, et j’ai prié pour que vienne la pluie.