Chacun trouve son bonheur où il veut et le mien j’en jouis pleinement au contact de la nature, dans des lieux habités par le silence. La foule m’amuse un moment et au Japon, après avoir fait une nouvelle fois l’expérience de l’invraisemblable cohue qui s’entrechoque avec celle qui vient d’en face, au fameux carrefour de Shibuya, rien ne me plaît davantage que de me retrouver loin de la ville, dans une vieille demeure transformée en auberge, un ryokan. Et là, au milieu de nulle part, sensible au moindre murmure comme aux matières qui m’entourent et parmi elles, le bois, la paille de riz, la pierre, je me dissous dans le paysage et je trouve ma place parmi les arbres, le souffle du vent, le murmure de l’eau. Un bol de thé à la main, je ferme les yeux et déguste avec lenteur l’infusion à la fois puissante et végétale. Je reste alors entièrement concentré sur le moment présent. Je bois du thé pour oublier le bruit du monde, chantait Lu Yu, le Fou de thé, comme on le surnomme encore, et auteur du « Classique du thé ».
Japon
Le marché aux feuilles
Au Japon, il existe des marchés à destination des professionnels, marchés au sein desquels le fermier va vendre ses feuilles de thé. A Shizuoka, il faut se lever tôt et être introduit pour assister à la vente de l’aracha ou thé brut, par les fermiers. Les acheteurs sont des négociants, parfois fermiers eux-mêmes, qui vont à nouveau faire subir différentes épreuves auxdites feuilles avant de les proposer selon un classement par grade, et en fonction de la demande de leurs clients. Les échanges se font sans bruit, on goûte et ensuite on négocie de la façon la plus discrète qui soit, à l’aide de bouliers.
Une mécanique méticuleuse
L’ingéniosité dont font preuve les Japonais à l’heure de récolter le thé est remarquable. Là où dans le monde entier les feuilles sont prélevées à la main par des cohortes d’innombrables cueilleuses et cueilleurs, la main d’œuvre est si chère au Japon qu’il faut à tout prix pouvoir se débrouiller tout seul. Ce qui signifie à l’aide de machines qui sont toutes aussi bien pensées les unes que les autres. La qualité de la production ne souffre pas de cette mécanisation dans la mesure où les Japonais font souvent preuve d’une grande méticulosité et sont par ailleurs particulièrement soucieux de respecter à la lettre tout mode d’emploi. Une fois les feuilles regroupées sur le lieu de leur transformation, un outil particulièrement sophistiqué examine de son œil électronique si leur forme, leur taille, leur structure, leur couleur correspondent bien à la qualité requise.
Thé d’ombre
Il existe des thés de lumière mais il existe aussi des thés d’ombre. Ceux-ci sont manufacturés à partir de feuilles prélevées sur des rameaux que l’on aura pris soin de priver de lumière durant les trois semaines qui précèdent leur récolte, et ce afin de développer les acides aminés et la fameuse saveur umami chère aux Japonais. C’est donc au Japon que l’on trouve traditionnellement les thés d’ombres, le plus fameux d’entre eux se nomme gyokuro. Son intensité et son incomparable douceur tapissent littéralement le palais, à la condition de le faire infuser correctement, à très basse température (50°) et pour une durée d’une à deux minutes seulement. Il est préférable de le savourer, à la façon d’un nectar, dans un minuscule récipient.
Un autre thé d’ombre bien connu chez nous notamment pour son usage en pâtisserie, le matcha, il est lui-même obtenu à partir d’un thé d’ombre réduit en poudre.
Orge et sarrasin
Il n’y a pas que le thé dans la vie. Il y a aussi l’orge et le sarrasin. Une fois les graines torréfiées, on les fait infuser. A chaud, à froid, c’est délicieux. Les Japonais, qui en consomment depuis toujours, adorent. En Bretagne on en produit, une chance puisque cela peut éviter de les faire venir du bout du monde. A la rentrée je vous présenterai Yoann, un « torréfacteur d’alternative bretonne », comme il se définit lui-même. D’ici-là, les épis d’orge mûrs auront été fauchés et les jolies fleurs de sarrasin auront eu le temps de faire des graines. Je vous souhaite un bel été.
Jardin zen
Au Japon, pays d’ordre s’il en est, les théiers sont entretenus de la façon la plus rectiligne qui soit. Ils composent des sortes de jardins zen si bien qu’à l’instar de ceux qui se rencontrent à Kyoto et dans bien d’autres régions de l’Archipel, à leur contact on aspire à se poser et à les contempler. Leur esthétique vous absorbe.
Au Japon, la relève en question
Il y a quelque chose qui vous frappe lorsque vous visitez des fermes de thé au Japon, que vous allez de manufacture en manufacture, c’est l’âge des exploitants. Souvent ces couples représentent la quatrième, cinquième, sixième génération, mais quand on les questionne à propos de la relève, bien souvent il n’y a plus personne après eux. Ils n’ont pas ou peu d’enfants, rarement enclins à s’inscrire dans la continuité familiale. Un vrai défi pour les productions de thé au Japon. Certes, les terres ne vont pas disparaître et les théiers sans doute pas non plus, les champs seront repris par une importante société de thé, mais cette mosaïque de très petits producteurs qui cultivent en moyenne environ cinq hectares, contribue à la richesse gastronomique du thé puisque chacun travaille les cultivars de son choix et en fonction de son terroir. Il me semble que c’est important de se fournir chez eux le plus longtemps possible, afin de donner toutes les chances à une aléatoire relève.
Hojicha, merveilleux thé grillé
Le plus connu des thés grillés japonais, le hojicha (parfois orthographié houjicha ou encore hôjicha), est fait à partir du thé bancha, issu de la récolte d’automne. Après avoir suivi le process de fabrication traditionnel d’un thé vert japonais (étuvage, façonnage, séchage), il est passé au four durant 5 minutes à 150 degrés, d’abord, puis à 300 degrés ensuite, durant une durée analogue. De nos jours, le hojicha est davantage consommé dans les parties du pays où le thé ne pousse pas, donc au nord de Tokyo et principalement sur l’île d’Hokkaido. Pour les amateurs d’accords gastronomiques, servi tiède ou à température ambiante, ses notes boisées et animales accompagnent à merveille la dégustation d’un pont-l’evêque, d’un livarot, ou de tout autre fromage à pâte molle et à croûte lavée ou fleurie.
Une taille mécanique
Au Japon, la récolte la plus prestigieuse de l’année a lieu entre fin avril et début mai. C’est à ce moment-là que l’on manufacture les fameux ichibancha, ou thés de la première récolte. Au début du mois de juin a lieu la taille suivante. Elle donne des thés intéressants mais qui ne sont toutefois pas au niveau des précédents. Ici, dans les environs de Shizuoka, je participe à ma manière aux opérations, au volant d’une Kawasaki assez différente de celles que l’on peut voir circuler dans les rues de nos villes. Pour des raisons de coûts de main-d’œuvre, le Japon est l’un des rares pays au monde à avoir mécanisé ses opérations de cueillette.
De la bouilloire à la théière
Au Japon, la bouilloire en fonte fait partie des objets traditionnels de la cérémonie du thé. Cette même bouilloire, nous la retrouvons comme ici dans les auberges, au-dessus d’un foyer de braises. L’hiver, on vient s’asseoir au bord de l’âtre et approcher ses mains pour les réchauffer. Outre sa fonction calorifère, la bouilloire contient l’eau qui va servir pour le thé. Cette eau, on viendra alors la puiser à l’aide d’une louche en bambou pour la verser directement dans le bol à thé, dans le cas de la préparation d’un thé en poudre.
Ce sont les Français qui ont d’une certaine manière inventé la théière en fonte. Cela se passe dans les années 80. Séduits par la beauté de ce récipient au design si pur, ils ont convaincu les fondeurs du nord du Japon de réaliser des sortes de bouilloires miniatures équipées d’un filtre intérieur et éventuellement vernissées : la théière en fonte était née. La France est restée longtemps le principal marché d’exportation de cet objet d’une grande beauté et qui vous accompagne une vie entière.