Lorsque l’on participe à une dégustation professionnelle, on a devant soi la feuille sèche, la feuille infusée que l’on désigne sous le vocable d’infusion, enfin le liquide contenu dans la tasse et que l’on nomme la liqueur ou encore la soupe. Cette dernière appellation prend tout son sens lorsque l’on se sert, pour la transporter, d’une cuillère qui rappelle précisément celle que l’on utilise, en Asie, pour savourer le bouillon qui inaugure le repas. Ici, point de nid d’hirondelle ou d’ailerons de requin, pour autant la cuillère est bien là qui porte le thé jusqu’à l’orée des lèvres. Reste alors à le slurper puisque aspirer l’air dans un même élan permet de mieux appréhender la liqueur, sa texture, ses saveurs, ses arômes.
Népal
L’expérience de la cueillette
Pour comprendre le thé, sa transformation, rien ne vaut de faire soi-même l’expérience de son élaboration. Et ce chemin passe en premier lieu par la cueillette, c’est-à-dire la sélection des jeunes feuilles qu’il va falloir manufacturer. Rien de tel que de mettre la main à la pâte pour prendre conscience de la précision nécessaire, de la délicatesse, de la difficulté de chacune des étapes qui conduisent à la naissance d’un thé et si possible d’un grand cru.
Ici, à Kalapani (Népal), Céline dont le métier consiste à diriger toute la chaîne d’approvisionnement de Palais des Thés, est initiée à la cueillette et s’applique à récolter, sur chaque rameau arrivé au stade de développement désiré, le bourgeon et les deux feuilles suivantes.
De cœur avec eux
Au Népal, les dégâts subis à la suite de pluies torrentielles sont considérables. Nous pouvons avoir une pensée pour toutes celles et ceux qui en sont victimes. Ce sont souvent les personnes les plus démunies qui perdent le plus.
Par chance, nos chers producteurs de thé sont rarement victimes des débordements de rivières. Le thé pousse en hauteur et préfère les pentes aux fonds de vallées dont le sol est trop humide au goût du camellia sinensis. Cependant, il arrive qu’à la suite d’une mousson particulièrement violente, des glissements de terrain emportent avec eux des routes, des maisons, et la vie de leurs habitants. Des pans entiers de montagnes finissent parfois en une coulée de boue, faisant là encore des victimes.
Le Népal fait partie des pays les plus pauvres du monde. Il subit non seulement des inondations majeures mais aussi parmi les pires tremblements de terre. Raison de plus pour penser à nos amis de cet ancien royaume himalayen qui compte nombre de remarquables petits producteurs de thé. Ils ont besoin de nous pour vivre, tout simplement. Préparons-nous une tasse de l’un de leurs délicieux thés et soyons, chacun à notre manière, de cœur avec eux.
Être humain
Au Népal, nous ne sommes pas en 2023 mais en 2078 jusqu’en avril prochain. C’est justement à quelques jours du Nouvel An que j’ai eu la chance de pouvoir assister aux danses sacrées au monastère de Shechen. Dans les coulisses, les moines se préparent. Chacun revêt son costume. Ici, l’enfant incarne le rôle du bouffon. Avec plusieurs compères, il interviendra tout au long des cérémonies pour amuser les spectateurs et leur jouer des tours. Les atsaras nous rappellent notre condition humaine. Être humain, voilà tout ce que je nous souhaite à l’aube de cette nouvelle année.
Être utile
Lorsque j’achète certains thés, j’ai le sentiment profond de notre utilité à l’égard des communautés. J’ai le sentiment que l’argent versé en échange de ce travail remarquable que constitue la manufacture d’un grand cru va être réparti de façon équitable, et non pas profiter à un individu seulement. En visite dans une plantation, voici une question que je me pose souvent : mettons que je paye ici le thé le double de sa valeur, à qui va aller cet argent ? Dans certains cas j’ai l’intuition que l’argent ne va aller qu’à une personne ou bien une catégorie de personnes et que les cueilleuses, les cueilleurs ne toucheront pas le moindre bonus. Et lors d’autres visites, j’ai la conviction que mon geste donnera lieu à un partage. Que le village entier pourra se féliciter d’avoir su faire de si délicieux thés, et que tous les efforts seront mis en œuvre pour en manufacturer de nouveaux. Et dans ce cas, j’ai le sentiment, fort, de notre utilité. Ici, au Népal, les équipes de Palais des Thés et de la manufacture de Norling font connaissance. Vous êtes utile à tout le village lorsque vous leur achetez leur magnifique thé. (photo : Anna Galitzine)
La pratique de la cueillette
La cueillette, il faut la pratiquer pour la comprendre. Il est difficile d’imaginer ce que l’on ressent lorsque l’on se tient une journée entière debout sur une pente parfois très inclinée et avec une hotte de dix ou vingt kilos dans le dos. Cette hotte tient en équilibre grâce à une sangle qui ceint le front tandis que le cueilleur de ses doigts agiles prélève avec la plus grande rapidité le bourgeon et les deux feuilles tendres présents sur chacun des rameaux de l’arbuste. Il faut répéter le même geste des milliers de fois et lancer par-dessus l’épaule les jeunes pousses avec une certaine dextérité afin qu’elles retombent bien dans la hotte. Ici, votre serviteur se concentre sur la tâche. (photo : Uday Yangya)
Le voyage d’une vie
Inviter celles et ceux qui chaque jour contribuent à faire davantage connaître le thé, fait partie de ma mission. Parmi mes collaborateurs, ils sont nombreux à n’avoir encore jamais vu de théiers, et c’est à la fois une joie et la réponse à une exigence que de prendre avec eux la route des plantations. La semaine dernière, j’étais dans la vallée d’Ilam en compagnie de Anna, Cassandra, Svetlana, Clément, Pierre et Thomas. Nous avons été de petit producteur en petit producteur, nous avons découvert des gens extraordinaires, des paysages incroyables, ensemble, nous avons roulé les feuilles que nous avions nous-mêmes récoltées, rejoint par Léo, qui cherche à mes côtés les meilleurs thés du monde. Et nous nous sommes souhaité la bonne année puisque dans ce pays incroyable, nous venions d’entrer en 2079. Que de beaux moments, que de découvertes. Un voyage comme celui-là, dans des régions si inaccessibles, d’une certaine manière, c’est le voyage d’une vie, et rien ne peut me rendre plus heureux que ce partage, que de donner un peu à voir de ce métier merveilleux.
S’ouvrir à d’autres cultures
L’une des beautés et pas des moindres du métier de chercheur de thé consiste en la possibilité de s’ouvrir à d’autres cultures. Ici, lors de la fête de Tsechu, les moines donnent vie au personnage dont ils épousent le masque, le temps d’un défilé, sinon d’une danse.
Danses sacrées du Tibet
En route pour la vallée d’Ilam, je m’arrête à Katmandou. Matthieu Ricard m’a invité au monastère de Shechen à la célébration de Tsechu, une fête durant laquelle on peut assister à la représentation de danses sacrées tibétaines. A la veille du grand jour, les moines répètent. Demain, ils s’élanceront à nouveau mais cette fois après avoir endossé un lourd et fastueux costume ainsi qu’un masque impressionnant.
Une culture vertueuse
Je rentre à la fois joyeux et surpris du Népal et d’un voyage en compagnie de mes amis de Karuna-Shechen, l’association fondée par Matthieu Ricard. Je les invitais à me suivre aux fins fonds de la vallée la plus orientale du pays afin de leur montrer les conditions de vie des récoltants de cette région. J’avais pour but de les convaincre de l’utilité que Palais des Thés et Karuna joignent leurs forces et travaillent ensemble à améliorer les conditions de vie des villageois. Or, après un certain nombre d’interviews dans la langue locale, la réponse de Karuna, aussi enthousiasmante soit-elle, m’a laissé sur le moment déconcerté. La réponse, la voici : depuis dix ans que ces villageois se sont lancés dans la culture du thé, l’amélioration de leur condition est telle que ce ne sont pas vers eux qu’il faut concentrer les efforts. En revanche, il est important de comprendre à quel point la culture du thé a été vertueuse et comment le fait de produire un thé de qualité acheté vingt ou trente fois plus cher qu’un thé médiocre a permis à une communauté entière de se prendre en main et de répondre à ses principaux enjeux de développement.
Reste maintenant à étudier tout de même comment aider les populations visitées afin de ne pas les décevoir, et surtout comprendre de quelle manière ce modèle de culture du thé vertueuse pourrait se dupliquer facilement.