Avant de me lancer dans le thé, j’ai longtemps rêvé de devenir journaliste. J’aimais l’idée de m’intéresser aux gens, de leur poser des questions, de comprendre ce qu’ils faisaient, de me faire expliquer des choses parfois compliquées et d’essayer de les rendre compréhensibles. J’aimais l’idée d’investiguer, de recouper l’information, de mettre à l’aise mon interlocuteur pour instaurer un dialogue de qualité. J’avais envie d’un métier qui m’emmène au bout du monde, qui me fasse rencontrer des gens de tous les horizons, de toutes cultures, des hommes et des femmes qui ne parlent pas ma langue, qui ne partagent pas mon histoire. J’avais envie de recevoir leur message et de le transmettre. Et puis, finalement, je me suis créé ce métier de chercheur de thé qui n’existait pas. J’aurais pu me contenter de rester derrière le comptoir de ma boutique de thé, j’aimais ça, accueillir les clients, les écouter, les orienter, mais j’ai eu envie d’aller plus loin, de mener mon enquête, de savoir d’où venaient ces feuilles de thé. J’ai appris d’abord à déguster, à reconnaître les goûts, les arômes, j’ai appris ensuite des langues étrangères. J’avais soif de découvertes, d’aller au-devant d’un monde ignoré, celui de la culture du thé. J’ai fait mon balluchon. J’ai été à la rencontre des fermiers, des cultivateurs, des négociants, des cueilleurs, des planteurs. Je me suis pris au jeu. Voyage après voyage. J’ai pris mon temps. Je suis parti à la rencontre de ces hommes et de ces femmes qui peuplent ces montagnes sur lesquelles ils pratiquent la culture du thé. Je les ai trouvés dans les champs, sur la place d’un village, devant l’usine. Je me suis assis. Je suis resté. J’ai écouté. Ecouté. Ecouté. J’ai tout enregistré. Et voilà comment, trente-deux ans plus tard, ce métier me comble et que ce qui me plaisait tant, autrefois, dans ce métier de journaliste, je le retrouve ici dans celui de chercheur de thé.
Népal
Je vous souhaite une vraie année !
Lorsque l’on sait que les algorithmes des réseaux sociaux sont programmés pour vous mettre en contact avec des gens qui pensent comme vous afin de vous faire croire que tout le monde pense comme vous, et à l’aube de cette nouvelle année, je formule le vœu de passer moins de temps sur les réseaux sociaux, smartphones et autres tablettes, tout simplement parce que la vraie vie ne s’y trouve pas. Je vous souhaite de passer davantage de temps à faire de vraies rencontres, avec de vrais gens. Pour votre plus grand bonheur. Je vous souhaite une vraie année !
Un monde meilleur à portée de main
Et si nous essayions de penser à nos enfants ? Nous avons tous un pouvoir énorme à chaque fois que nous dépensons de l’argent. Le pouvoir de rendre le monde meilleur. Dépenser de l’argent, c’est encourager. Encourager un producteur. Encourager un système de distribution. Encourager de bonnes pratiques. Encourager des produits sains, des produits non transformés, des produits équitables, des produits respectueux des hommes et de la planète. Nous avons le pouvoir d’encourager l’artisanat, la coopérative, le fermier, le commerçant de centre-ville, le producteur local. Personne ne nous force à fréquenter les grandes surfaces, personne ne nous force à pousser des caddies remplis jusqu’à la gueule de produits alimentaires issus de l’industrie, emballés dans du plastique et dont nous ignorons les ingrédients lorsqu’il ne s’agit pas de sucre, de conservateurs et d’huile de palme. On peut consommer mieux et moins. On peut consommer sain. On peut favoriser les producteurs raisonnables.
Et lorsque l’on regarde les étiquettes, on est parfois surpris de constater que le meilleur n’est pas toujours le plus cher (par exemple, dans le cas du thé, un sachet de supermarché vaut souvent au kilo plus cher qu’un thé de bonne qualité vendu en vrac par un détaillant spécialisé). Qu’attendons-nous ?
Une ferme à taille humaine
Le thé peut être produit dans un immense domaine sur lequel vivent parfois un millier d’habitants, il peut être produit dans une coopérative réunissant différents petits producteurs, il peut enfin être produit dans une simple ferme, comme ici, à Pathivara. La vie sociale diffère selon le modèle, celui de la ferme à taille humaine ayant ma préférence. Loin du cliché du planteur vivant coupé du monde dans son magnifique bungalow – héritage de l’ère anglaise -, lorsque le thé est produit dans une ferme, il arrive que les villageois viennent passer ensemble la fin de la journée. Ils s’assoient les uns à côté des autres. Et ils bavardent, bavardent, bavardent. Parfois on boit, parfois on joue de la musique, parfois on danse. La vie, tout simplement.
Avec le « père » de Pathivara
Parmi les plantations récentes qui font parler d’elles : Pathivara, au Népal. Me voici avec le père de la plantation, celui qui l’a initiée. En peu d’années, il a réussi l’exploit de produire des thés délicieux avec des moyens jusqu’ici plus que modestes. Des thés certifiés bios, de surcroît. Un nouveau bâtiment est en construction, j’en ai posé la première pierre lors de mon dernier séjour. Il accueillera des outils plus sophistiqués, ce qui n’empêche nullement l’équipe de manufacturer déjà de très beaux thés. Depuis le début du mois de juin, j’ai acheté pas moins de 3 lots : Pathivara Classic, Pathivara Black et Pathivara Dragon Yeti – on ne manque pas de poésie dans ces montagnes. Des thés très différents les uns des autres, des profils aromatiques très variés. Poésie et gastronomie sont ici réunies.
Moins de plastique
Je me sens concerné par l’état de la planète, la prolifération du plastique en est un exemple. On peut imaginer les plantations de thé comme des lieux idylliques, en haut de montagnes plus ou moins escarpées, loin des villes, au milieu d’une nature magnifique, tout ceci est exact. Mais le thé nécessitant une importante main d’œuvre, de nombreux villageois vivent autour des plantations. Et ces villageois achètent des produits qui sont de plus en plus souvent emballés dans du plastique. Emballages qu’il faut bien jeter ensuite.
Dans les plantations de thé, il n’est pas rare de voir des déchets entre les théiers, juste parce que les gens n’y pensent pas et jettent un sac, un paquet de cigarettes ou de biscuits, au milieu de nulle part. Et ces déchets s’accumulent. Le sol en est parfois jonché, à l’endroit d’un pique-nique. La solution la plus efficace que j’ai vue consiste à organiser, un jour par an, une collecte des déchets par tous les villageois, enfants compris. Cela se fait dans la bonne humeur, cela responsabilise chacun, et à l’école, ce jour-là, on rappelle la durée de vie des différents détritus. Pour un sac en plastique, comptez 400 ans !
Mon blog parle de rencontres
Mon blog parle de thé mais aussi de rencontres. Je ne sais pas qui est cette femme, elle était devant chez elle, juste en face d’une manufacture de thé, j’ai trouvé joli ce bonnet mauve, ce mauve sous sa robe et ce grand aplat mauve, derrière elle. Je ne sais rien de cette femme sinon où elle vit, je sais que nous nous sommes souris, j’ai montré mon appareil photo comme on pose une question, elle a acquiescé, elle est là, aujourd’hui, ici. Je suis tellement heureux en voyage, marchant dans les ruelles de villages isolés, ou bien à travers champs. Je suis tellement heureux de les photographier, ces hommes, ces femmes, d’échanger quelques mots, de rire, souvent, de rester assis ensemble, sur un banc, une marche, une pierre, n’importe quoi, de faire connaissance, juste un début de connaissance, puis de poursuivre ma route. Et de les partager avec vous, ces visages, ces moments, voilà qui est à mes yeux tout aussi important.
Arya Tara : la production confidentielle de Saran RAI
Vous parler de celles et ceux qui manufacturent les thés que vous buvez, constitue pour moi une motivation forte. Je vous présente aujourd’hui Saran RAI. À Arya Tara (Népal), Saran produit différents grades, mais seulement 300 kilos par an. Ils sont issus de mon cultivar préféré : l’AV2. Une plantation très petite et très qualitative, dont les feuilles fraîches proviennent pour moitié des champs de son exploitation, et pour moitié de la cinquantaine de fermiers locaux. Lorsque je lui demande de quoi il est le plus fier, Saran me répond, « recevoir la visite d’étrangers venus de loin ». En effet, rares sont les visiteurs à s’aventurer jusqu’à son coin de paradis, le chemin est long, en particulier les derniers kilomètres. Ceux-là, je les ai faits à pied, sur une route impossible. Au milieu d’une nature splendide. Et si sa plantation n’est pas certifiée « bio », nul doute que Saran pratique une culture organique.
Une apparence modeste
Au Népal, les factories sont facilement déglinguées d’apparence : bâtiment en tôle, sans aucun aménagement superflu. On déguste le thé dehors, sur des tréteaux. On est loin de Darjeeling et de sa vie de planteur très British. Mais il ne faut pas en tirer de conclusion hâtives. A l’intérieur de ces bâtiments d’apparence modeste, on trouve non seulement un très bel outillage (petits rouleurs venus de Chine ou de Taiwan, fours de qualité, machine à façonner délicatement la feuille de thé…) mais on trouve surtout un savoir-faire et une créativité uniques. Des jeunes gens passionnés – là aussi à mille lieues de l’image du planteur établi de Darjeeling -, vivent avec les feuilles de thé, au milieu du thé, pour le thé, ne pensent qu’au thé (ou presque), et ont pour unique objectif de créer des thés délicieux, peu importe leur couleur. L’absence de tradition de thé au Népal les aide sûrement à explorer de nouvelles formes pour les feuilles, de nouveaux types de roulage et de manufacture en général. Les thés du Népal « faits main » (par opposition au CTC et aux grandes usines qui existent aussi dans la région d’Ilam) ont un bel avenir devant eux.
Dans l’Himalaya, un accueil en musique
Dans l’Himalaya, on aime la musique. Dès qu’une occasion se présente, on sort son instrument, parfois une guitare, parfois quelque chose de plus traditionnel et on chante, on danse. Ici, en pays Limbu et pour fêter ma venue chacun a revêtu l’habit traditionnel. Jusqu’au dernier rayon du soleil on va jouer, danser face aux montagnes magnifiques. Plus tard on allumera le feu. Un pur moment de bonheur.