Lorsque l’on m’interroge à propos des voyages qui m’ont le plus marqué, je pense à des paysages à couper le souffle, bien sûr, aux contreforts de l’Himalaya, à des volcans en activité qui surplombent les champs de thé. Je pense à la douceur des jardins japonais, aux teintes multicolores des arbres srilankais par-dessus un océan de camellias sinensis. Je pense aux longs trajets en train à travers toute sorte de jungle. Je pense à toutes les fois où je me suis assis à même un bout de route de montagne pour contempler la beauté du monde. Mais les rencontres qui me marquent le plus sont les rencontres humaines. Elles sont par essence toutes uniques et mille me reviennent en mémoire. Parmi celles-ci, les cueilleuses de thé du Triangle d’or, d’une ethnie comme d’une autre (ici, deux femmes Dao), que l’on croise au hasard d’un jardin de thé enfoui dans quelque forêt oubliée, après des heures de marche.
Viêt Nam
Mouiller sa chemise
Le thé au lotus fait partie des traditions vietnamiennes. La culture de cette fleur nécessite de se mouiller. Se mouiller à l’heure de la récolte qui se pratique, soit en avançant dans un étang avec de l’eau à la poitrine, soit à bord de petites barques peu étanches ; se mouiller au moment de multiplier les pieds de nelumbo nucifera puisque l’on va alors plonger le bras jusqu’à attraper quelques rhizomes destinés à un autre étang.
Thé au lotus : une tradition vietnamienne
La fleur de lotus joue un rôle très important dans la culture vietnamienne. Il n’est donc pas surprenant que dans ce pays la coutume veuille que l’on parfume du thé à l’aide de cette fleur et que l’on obtienne ainsi un thé particulièrement recherché. La production a lieu en juin et en juillet. Une opération qui demande de la patience car on va mettre en contact cinq jours de suite les feuilles de thé avec le pollen de la fleur.
Une femme hmong
Le triangle d’or est une région attachante du fait de sa géographie accidentée, de ses montagnes couvertes de jungle, de ses vallées reculées et surtout du fait des ethnies multiples et variées qui l’habitent. Chaque ethnie possède sa propre culture, sa langue, ses coutumes. D’une ethnie à l’autre, le style des maisons change, le rapport à la terre change, la nourriture change. Ici, à Sung Do, dans le nord du Vietnam, une femme part récolter les feuilles de thés sur des arbres centenaires.
Dans le Triangle d’or, des récoltants perchés !
Dans la région du Triangle d’or, on trouve des théiers pas tout à fait comme les autres. Au lieu de les maintenir à une taille basse afin de faciliter la récolte des feuilles, on les laisse pousser comme des arbres. A l’heure de la récolte, il faut alors monter dans ces camellia qui peuvent avoir plusieurs centaines d’années. Les feuilles issues de ces théiers sont particulièrement recherchées pour la manufacture des pu erh ou thés sombres.
Épouser les traditions
Après une journée fatigante à marcher durant plus de six heures pour rejoindre les vieux théiers et revenir ensuite au village, on a besoin de se requinquer. La nourriture, dans cette région du nord-Viêt-Nam est délicieuse. Chez les Daos qui m’hébergent, je me plie à la tradition : pendant tout le repas, je vais trinquer à tour de rôle avec toute personne – et elles sont nombreuses – qui me feront signe en levant leur verre, et je devrais vider mon verre d’un trait puis échanger une poignée de main avec elles. Entre deux lampées de cet alcool de riz local, je prends le temps de déguster chacun des plats délicieux. La préparation du repas a lieu dans la même pièce que celle dans laquelle nous dînons, assis par terre. Sitôt le repas terminé, nous nous couchons sur des nattes, toujours dans cette même pièce, sans cloison autre qu’une moustiquaire qui nous sépare les uns des autres, ni même du dehors, avec tous les bruits de la jungle qui font le sommeil rare. On entend aussi, sur les nattes avoisinantes, une mère qui allaite, quelqu’un qui ronfle un peu fort, un autre qui tousse, entre autres soupirs et chuchotements… lorsque le coq a chanté, mon sommeil m’avait quitté depuis longtemps et je suis sorti pour marcher, pour voir le jour se lever depuis le bord d’une rizière, au-dessus du village. De retour pour le petit déjeuner , je me suis assis et le maître de maison m’a aussitôt rempli, à mon grand étonnement, un verre d’alcool de riz qu’il m’a tendu, il a aussitôt levé le sien vers moi, avec enthousiasme, j’ai décliné, je n’y croyais pas, je rêvais d’un thé, en vain, mon hôte était sérieux, il commençait à s’assombrir devant mes protestations, il l’aurait mal pris si j’avais poursuivi dans cette voie, voyager c’est épouser les traditions de celles et ceux qui nous font la gentillesse de nous recevoir, j’ai vidé mon verre d’un trait. Plus tard, il m’a offert un thé, un thé bien mérité, un thé que j’avais rarement autant désiré.
Une cueillette au sommet
Rejoindre les théiers sauvages à la frontière sino-viétnamienne n’est pas une mince affaire, surtout à la saison chaude. L’air suffocant et moite ralentit la marche et les sangsues qui infestent la région en profitent pour s’agripper à vous. On marche sous un soleil de plomb. L’humidité de l’air est palpable. Mais, une fois sorti de la jungle, après trois bonnes heures d’effort, on se retrouve assez haut pour découvrir ces fameux théiers qu’on a laissé pousser comme des arbres, et jouir d’un beau spectacle, surtout si on a la chance d’arriver pile à l’heure de la cueillette… (à suivre).
Une mosaïque de cultures
Dans les régions où l’on récolte le thé sur des théiers sauvages, que ce soit au sud du Yunnan (Chine), au nord du Laos ou bien comme ici, au Viêt-Nam, les villageois appartiennent essentiellement à des minorités ethniques. Ces minorités sont très diverses. Chaque minorité a ses propres coutumes, parfois sa propre langue. Se promener dans les montagnes de ces régions permet de faire l’expérience de cette mosaïque de cultures. Cette femme, occupée à récolter les feuilles de thé en haut d’un arbre, appartient à la communauté Dao… (à suivre).
300 ans et toutes ses feuilles
Voici d’un peu plus près à quoi ressemble un théier lorsque l’on veut bien le laisser pousser au lieu de le maintenir très bas de façon à cueillir facilement ces bourgeons et autres pousses. De ce que l’on m’a dit dans ce coin perdu du Viêt-Nam, ce camélia aurait environ trois cents ans. Je ne suis pas un expert dans le domaine de la datation des arbres, en revanche, ce que je sais, c’est que l’on fait de bien bons thés à partir des feuilles de thé récoltées sur ces théiers-là…(à suivre).
Le thé, le riz
Le thé et le riz ont beaucoup en commun. A commencer par ces nuances de verts voire de jaunes, si délicates et si variées, si intenses. Un bonheur pour les yeux. Je pourrais passer ma vie à photographier des rizières. Je les longe souvent, avec précaution, en mettant un pied devant l’autre sur le petit muret qui les entoure, pour me rendre dans des plantations de thé situées toujours plus haut dans la montagne, comme ici au nord du Viêt-Nam. Certains jardins de thé ne sont reliés par aucune route, il faut alors commencer par emprunter le chemin sinueux des rizières. Du moins, tant que la pente est faible car le riz pousse à plat, en plaine ou bien en terrasse. Le riz, au contraire du thé, a besoin d’eau stagnante. Le thé a besoin de beaucoup d’eau mais de l’eau qui court, qui s’en va, qui ne reste pas au niveau des racines. Voilà pourquoi le thé aime les pentes lorsque le riz aime le plat. Plat contre pente, vallée contre montagne, eau stagnante contre eau courante, le thé et le riz sont comme deux frères que tout oppose, inséparables en même temps. On les retrouve toujours ensemble. Ils ont une autre caractéristique humaine importante : ce sont les deux produits agricoles qui font travailler le plus de personnes au monde… (à suivre).