Les paysages de Darjeeling comptent parmi les plus incroyables qui soient. Non pas qu’ils dépassent tous les autres du point de vue de l’esthétique, mais la rapidité avec laquelle les paysages de cette région changent est unique. On passe d’une tempête de grêle à un beau ciel bleu en moins de temps qu’il n’en faut pour le dire et les brumes sont si épaisses, parfois, que le marcheur de ces régions en vient à perdre de vue le bout de ses chaussures. Après tout, le nom Darjeeling vient du tibétain « Dorje Ling » qui signifie le « Pays des Orages », c’est dire si dans ce pays ce sont les cieux qui font la loi. Bien entendu, ces variations climatiques et les violents écarts de température qui les accompagnent ont des conséquences importantes sur la qualité du thé, voici pourquoi à Darjeeling comme au Népal, les caractéristiques des thés de printemps, d’été et d’automne sont si différentes les unes des autres. Dans aucune autre région de thé au monde, on ne voit les thés varier autant, d’une saison à l’autre, sur un plan organoleptique.
ARCHIVE DE 2016
« Tea sommelier », le livre
J’en ai rêvé, il est là. Je veux parler de cet ouvrage qui sort cette semaine en librairie et que les éditions du Chêne publient. Ce projet de livre intitulé « Tea sommelier » me tient à cœur depuis longtemps. Des hôtels prestigieux situés aussi bien en Europe qu’en Amérique ou même en Asie me sollicitent depuis plusieurs années pour que je les aide à construire des associations thé et mets. Un jour, c’est un établissement de Hong Kong qui demande quel thé conviendrait le mieux avec du caviar, une autre fois, c’est un chef étoilé new yorkais qui découvre les multiples usages du thé en cuisine et déborde de questions. C’est cela qui est nouveau aujourd’hui, le thé n’est plus seulement réservé au petit-déjeuner, au brunch ou bien au tea-time, il prend désormais ses aises à table, en cuisine, ou même au bar. Le thé, on le prépare aussi à température ambiante, parfois, on le sert dans des verres à vin, parfois, ce sont tous ces usages-là que mon ami Mathias et moi détaillons ici de façon à la fois sérieuse et ludique, avec moult illustrations. Bien sûr, le théier et sa culture, les grandes familles de thé, les différentes façons de les préparer et de les déguster figurent aussi en bonne place dans ce livre, un livre à la fois pointu et joyeux, facile d’accès. Il est à la porté de tous. Notre souhait est que vous preniez autant de plaisir à le lire que nous en avons eu à l’écrire.
Le thé en partage
Je rentre tout juste de Darjeeling. Chaque année, j’invite des responsables de boutique à me suivre dans les plantations. Je me souviens des débuts de Palais des Thés. J’ai passé les trois premières années de cette belle aventure en boutique, au comptoir, à accueillir les clients et à les servir. A l’époque, je n’avais encore jamais vu de théiers. Puis, j’ai pris mon baluchon et je suis parti explorer les montagnes de thé en Chine, au Japon, en Inde, puis d’autres pays. Cela m’a transformé et a bouleversé le lien que je pouvais avoir avec le thé. Le thé est devenu pour moi une passion. Ce lien est devenu fort, riche, puissant. Ma vie a changé.
Voilà pourquoi je veux que les responsables de boutique aient la même chance que moi, celle de découvrir le thé in situ, rencontrer les gens du thé, des cueilleuses aux fermiers en passant par ceux qui transforment la feuille. La chance de comprendre le climat, les sols, les cépages, les méthodes de production. Le thé est un monde à part entière, au même titre que le vin. Il suffit de modifier à la marge un paramètre – une différence d’altitude, ou bien d’orientation, une pente moins inclinée, un cultivar hybride, une averse qui se produit au moment de la manufacture, que sais-je – pour que le thé ait un goût autre. Rien ne remplace l’expérience. Ces responsables de boutique repartent le cœur joyeux et les yeux émerveillés. A leur tour de rêver à ces montagnes brumeuses, à ces visages rencontrés, à ces sourires échangés. Et, surtout, de partager leur rêves avec leurs équipes, leurs clients, leur entourage. Le thé, il faut le vivre pour le comprendre.
Un jardin vertical
Le thé a très bon caractère. Il s’entend avec beaucoup de végétaux. Ici, sur les hauteurs de Taichung (Taiwan), il entretient des liens étroits avec des arecas catechu ou palmiers à bétel. Ces palmiers offrent un revenu de complément au fermier et un peu d’ombrage à nos arbustes. Ils donnent aussi une verticalité surprenante à ces jardins de thé, d’habitude très horizontaux.
Des thés de haute volée
Au centre de l’île de Taiwan sont produits les Gao Shan Cha, ces thés de haute montagne qui ont la particularité d’être roulés en perles. Il s’agit de thés semi-oxydés, ils sont donc successivement flétris, légèrement oxydés, torréfiés, roulés, séchés puis emballés. Ces thés développent à la tasse et pour les meilleurs d’entre eux des notes végétales fraîches ainsi qu’un beau bouquet floral (rose, jacinthe, jasmin) assez opulent et soutenu par des notes beurrées-lactées, parfois légèrement vanillés. Des thés de haute volée dont la production est limitée.
Épouser les traditions
Après une journée fatigante à marcher durant plus de six heures pour rejoindre les vieux théiers et revenir ensuite au village, on a besoin de se requinquer. La nourriture, dans cette région du nord-Viêt-Nam est délicieuse. Chez les Daos qui m’hébergent, je me plie à la tradition : pendant tout le repas, je vais trinquer à tour de rôle avec toute personne – et elles sont nombreuses – qui me feront signe en levant leur verre, et je devrais vider mon verre d’un trait puis échanger une poignée de main avec elles. Entre deux lampées de cet alcool de riz local, je prends le temps de déguster chacun des plats délicieux. La préparation du repas a lieu dans la même pièce que celle dans laquelle nous dînons, assis par terre. Sitôt le repas terminé, nous nous couchons sur des nattes, toujours dans cette même pièce, sans cloison autre qu’une moustiquaire qui nous sépare les uns des autres, ni même du dehors, avec tous les bruits de la jungle qui font le sommeil rare. On entend aussi, sur les nattes avoisinantes, une mère qui allaite, quelqu’un qui ronfle un peu fort, un autre qui tousse, entre autres soupirs et chuchotements… lorsque le coq a chanté, mon sommeil m’avait quitté depuis longtemps et je suis sorti pour marcher, pour voir le jour se lever depuis le bord d’une rizière, au-dessus du village. De retour pour le petit déjeuner , je me suis assis et le maître de maison m’a aussitôt rempli, à mon grand étonnement, un verre d’alcool de riz qu’il m’a tendu, il a aussitôt levé le sien vers moi, avec enthousiasme, j’ai décliné, je n’y croyais pas, je rêvais d’un thé, en vain, mon hôte était sérieux, il commençait à s’assombrir devant mes protestations, il l’aurait mal pris si j’avais poursuivi dans cette voie, voyager c’est épouser les traditions de celles et ceux qui nous font la gentillesse de nous recevoir, j’ai vidé mon verre d’un trait. Plus tard, il m’a offert un thé, un thé bien mérité, un thé que j’avais rarement autant désiré.
Une cueillette au sommet
Rejoindre les théiers sauvages à la frontière sino-viétnamienne n’est pas une mince affaire, surtout à la saison chaude. L’air suffocant et moite ralentit la marche et les sangsues qui infestent la région en profitent pour s’agripper à vous. On marche sous un soleil de plomb. L’humidité de l’air est palpable. Mais, une fois sorti de la jungle, après trois bonnes heures d’effort, on se retrouve assez haut pour découvrir ces fameux théiers qu’on a laissé pousser comme des arbres, et jouir d’un beau spectacle, surtout si on a la chance d’arriver pile à l’heure de la cueillette… (à suivre).
Une mosaïque de cultures
Dans les régions où l’on récolte le thé sur des théiers sauvages, que ce soit au sud du Yunnan (Chine), au nord du Laos ou bien comme ici, au Viêt-Nam, les villageois appartiennent essentiellement à des minorités ethniques. Ces minorités sont très diverses. Chaque minorité a ses propres coutumes, parfois sa propre langue. Se promener dans les montagnes de ces régions permet de faire l’expérience de cette mosaïque de cultures. Cette femme, occupée à récolter les feuilles de thé en haut d’un arbre, appartient à la communauté Dao… (à suivre).
300 ans et toutes ses feuilles
Voici d’un peu plus près à quoi ressemble un théier lorsque l’on veut bien le laisser pousser au lieu de le maintenir très bas de façon à cueillir facilement ces bourgeons et autres pousses. De ce que l’on m’a dit dans ce coin perdu du Viêt-Nam, ce camélia aurait environ trois cents ans. Je ne suis pas un expert dans le domaine de la datation des arbres, en revanche, ce que je sais, c’est que l’on fait de bien bons thés à partir des feuilles de thé récoltées sur ces théiers-là…(à suivre).
Le thé, le riz
Le thé et le riz ont beaucoup en commun. A commencer par ces nuances de verts voire de jaunes, si délicates et si variées, si intenses. Un bonheur pour les yeux. Je pourrais passer ma vie à photographier des rizières. Je les longe souvent, avec précaution, en mettant un pied devant l’autre sur le petit muret qui les entoure, pour me rendre dans des plantations de thé situées toujours plus haut dans la montagne, comme ici au nord du Viêt-Nam. Certains jardins de thé ne sont reliés par aucune route, il faut alors commencer par emprunter le chemin sinueux des rizières. Du moins, tant que la pente est faible car le riz pousse à plat, en plaine ou bien en terrasse. Le riz, au contraire du thé, a besoin d’eau stagnante. Le thé a besoin de beaucoup d’eau mais de l’eau qui court, qui s’en va, qui ne reste pas au niveau des racines. Voilà pourquoi le thé aime les pentes lorsque le riz aime le plat. Plat contre pente, vallée contre montagne, eau stagnante contre eau courante, le thé et le riz sont comme deux frères que tout oppose, inséparables en même temps. On les retrouve toujours ensemble. Ils ont une autre caractéristique humaine importante : ce sont les deux produits agricoles qui font travailler le plus de personnes au monde… (à suivre).