ARCHIVE DE 2017
Le « tea pet », meilleur compagnon de l’amateur de thé
En attendant la pluie
Je vous écris de Kolkata. Je vous écris depuis cette ville que j’aime et qui n’a pas volé son nom de Cité de la Joie. L’ancienne Calcutta est aussi la ville du thé. la plupart des plantations de Darjeeling et d’Assam ont ici un bureau et une salle de dégustation. Lorsque je ne vais pas à Darjeeling, faute de temps, deux jours passés ici m’offrent un parfait panorama de la production du moment. Je les passe à rendre visite à chacun de mes amis en charge de l’exportation du thé et à leur poser toutes les questions possible. S’ils ont reçu des échantillons de thé en provenance des montagnes nous les goûtons ensemble. Je peux ainsi vous dire que la situation n’est pas bonne à Darjeeling. Il n’a pas plu une seule goutte depuis le mois d’octobre. La température est supérieure de deux degrés à la normale mais, sans eau, les bourgeons poussent à une allure qui désespère les planteurs.
Une fois mes interviews terminés, je me promène jusqu’à la rive du fleuve et regarde passer les eaux du Gange. Le pont de Howrah constitue l’un des symboles de la capitale du Bengale-Occidental. Toutes ces petites lumières allumées, je les imagine comme autant de petites prières pour faire venir la pluie.
Japon, la fin du cépage unique
La semaine dernière, je vous disais que la mise en commun des feuilles de thé par les coopératives japonaises pouvait limiter la richesse gustative des thés de ce pays, mais il y a aussi des évolutions très positives qui nous viennent du Japon. Par exemple celle-ci : il y a plusieurs décennies, on pouvait dire que le pays était monocépage, c’est-à-dire que l’écrasante majorité des cultivars utilisés ne se résumait qu’au Yabukita. De façon très heureuse, il y a aujourd’hui de plus en plus de cultivars utilisés au Japon. Ils se nomment Sae-Midori, Oku-Hikari, Asatsuyu, entre autres. Une plus grande diversité de cultivars signifie qu’une fois que le thé est infusé, on obtient un éventail olfactif et aromatique plus large. Cette évolution s’effectue donc pour le plus grand bonheur des amateurs.
La mise en commun des feuilles limite la richesse gustative
J’ai un regret concernant les thés du Japon. Et mes amis japonais le savent et le partagent. Le voici : au Japon, peu de fermiers vont jusqu’à proposer un thé fini. Ils ne sont en général pas équipés pour cela en terme de matériel. Au Pays du Soleil Levant, la plupart des fermiers s’attachent à faire pousser le meilleur thé possible et à le récolter au meilleur moment mais ils vendent aussitôt après les feuilles fraîches à des coopératives qui vont terminer de fabriquer le thé. Or, ces coopératives ne savent pas séparer les lots qu’elles reçoivent et leur faire subir un traitement personnalisé. Elles vont mettre en commun les feuilles récoltées par les différents fermiers. Il en découle une certaine uniformisation du goût alors que si chaque fermier allait jusqu’au bout de la fabrication de son thé, on aurait sûrement une richesse gustative, un éventail de goût et de saveurs plus large.
Monsieur Kumada, un fermier amoureux de sa terre
Je vous présente monsieur Kumada. Monsieur Kumada vit entouré de huit chats. Il travaille le thé sur sept hectares, à l’extrême sud du Japon, sur les hauteurs de Kagoshima, loin de tout, loin du moindre village. Il a pris la suite de son père qui était lui aussi fermier. Mais il ne cultive que le thé à la différence de son père qui cultivait également le tabac, faisait de l’élevage de vaches, de cochons et de vers à soie. Quand je lui ai demandé ce qu’il aimerait que je mette en avant sur mon blog, monsieur Kumada m’a aussitôt répondu qu’il était fier de ses pratiques agricoles, fier de cette certification « bio » qu’il a obtenue. Il veut garder l’environnement du mieux qu’il peut, il en est responsable, dit-il.
Monsieur Kumada produit des thés verts, bien sûr, mais également un thé noir que je viens de sélectionner. C’est la première fois que je déguste un thé noir du Japon qui soit aussi bon, une expérience gastronomique intéressante. Et la personnalité attachante de monsieur Kumada n’est pour rien dans mon choix dans la mesure où toutes mes dégustations se font à l’aveugle, mais cela renforce bien sûr le plaisir que j’ai à mettre en avant sa belle production.
Au Japon, le thé se récolte 3 à 4 fois par an
Au Japon, du fait d’une main d’œuvre onéreuse, les récoltes sont le plus souvent mécaniques. De ce fait, au lieu de récolter le thé toutes les semaines, comme cela se pratique dans certaines régions du monde, on va récolter trois fois par an seulement : au printemps, en été et en automne. Sur l’île de Kyushu, en raison d’un climat plus chaud que dans les îles plus au nord, on récolte le thé jusqu’à quatre fois par an. Les récoltes ont lieu en avril, juin, août et octobre. La récolte la plus prisée reste la première que l’on nomme ici comme ailleurs au Japon, ichibancha.
Sakurajima
Je quitte demain le Japon, je quitte cette île de Kyushu que j’aime, cette ville de Kagoshima, cette région de volcans qui comptent parmi les plus actifs de l’archipel, je quitte ces beaux champs de thé isolés dans les montagnes et dont je vous montrerai des photos bientôt mais aujourd’hui je voudrais partager avec vous ma photo préférée, la vue du volcan qui se nomme Sakurajima, cliché pris depuis le jardin de Senga-en, au nord de Kagoshima. Cette baie est l’une des plus belles du monde et le thé pousse aussi bien à l’intérieur des terres que sur certaines îles au large. Du thé vert, bien sûr, mais aussi des thés noirs pas forcément toujours exceptionnels mais qui commencent à se vendre jusqu’à Tokyo.
Une plantation volcanique
A l’extrême sud du Japon, la proximité des champs de thé et des volcans en activité rend nécessaire un traitement particulier des feuilles de thé. En effet, les volcans crachent plusieurs fois par an des cendres qui se déposent aux alentour et l’on va donc commencer une fois le thé récolté par rincer les feuilles de thé avant de passer à la première étape de leur fabrication, l’étuvage. Ce rinçage se fait à l’eau froide durant 30 minutes et pas davantage pour perdre le moins possible de composants aromatiques.
Eloge de l’ombre
Si vous voulez faire connaissance avec le Japon, je vous conseille, outre l’Empire des Signes, de Roland Barthes, l’Eloge de l’ombre de Junichiro Tanizaki. Je l’ai emporté avec moi pour le relire, ici, au Japon. Il y traite du rapport que l’on entretient avec la lumière en Orient et en Occident, lumière diffuse contre lumière directe, du goût pour ce qui brille, d’un côté, de la préférence pour le mate, de l’autre. En Occident, nous recherchons l’éclairage absolu, ailleurs, comme au Japon, la pénombre. Tanizaki parle aussi de la laque, de l’obscur, de la cuisine japonaise qui s’accorde avec l’ombre. Il dit, à propos de cette cuisine -des mets aussi bien que des plats dans lesquels elle est servie -, « …dans le choc de la lumière brutale, ses vertus esthétiques voleraient en éclat ». Il dit aussi, quelque chose que j’aime beaucoup, « Nous autres Orientaux, nous créons de la beauté en faisant naître des ombres dans des endroits par eux-mêmes insignifiants ».