Hier, j’ai longuement conversé avec Jeewan Prakash Gurung, l’un des plus anciens planteurs de Darjeeling. Il a passé 48 ans dans le thé, un record ! Il m’a reçu dans sa plantation de Seeyok et entre deux dégustations, nous avons parlé jusqu’à la nuit tombée. Ses mots sont forts et ils me touchent : « Le thé n’est pas un produit, c’est une culture !». Et sa fierté, en parlant de lui-même et de ses collègues planteurs, Jeewan Prakash l’exprime ainsi : « Je suis fier des thés de Darjeeling, ce sont eux qui font ce que nous sommes aujourd’hui. ». Sur la route en lacet qui me ramenait à Mirik, contemplant par la vitre grande ouverte de la Jeep ces montagnes enveloppées de brume et de nuit, j’ai repensé à ces mots et j’ai compris quelque chose d’important : certaines personnes se contentent de faire du thé, de façonner les feuilles de thé, tandis que d’autres, c’est le thé lui-même qui les a façonnées et qui a fini par les rendre telles qu’elles sont aujourd’hui. Cela m’a fait bien sûr penser à la célèbre phrase de Nicolas Bouvier, On croit qu’on va faire un voyage, mais bientôt c’est le voyage qui vous fait…
ARCHIVE DE 2023
Paisible ryokan
Chacun trouve son bonheur où il veut et le mien j’en jouis pleinement au contact de la nature, dans des lieux habités par le silence. La foule m’amuse un moment et au Japon, après avoir fait une nouvelle fois l’expérience de l’invraisemblable cohue qui s’entrechoque avec celle qui vient d’en face, au fameux carrefour de Shibuya, rien ne me plaît davantage que de me retrouver loin de la ville, dans une vieille demeure transformée en auberge, un ryokan. Et là, au milieu de nulle part, sensible au moindre murmure comme aux matières qui m’entourent et parmi elles, le bois, la paille de riz, la pierre, je me dissous dans le paysage et je trouve ma place parmi les arbres, le souffle du vent, le murmure de l’eau. Un bol de thé à la main, je ferme les yeux et déguste avec lenteur l’infusion à la fois puissante et végétale. Je reste alors entièrement concentré sur le moment présent. Je bois du thé pour oublier le bruit du monde, chantait Lu Yu, le Fou de thé, comme on le surnomme encore, et auteur du « Classique du thé ».
Le marché aux feuilles
Au Japon, il existe des marchés à destination des professionnels, marchés au sein desquels le fermier va vendre ses feuilles de thé. A Shizuoka, il faut se lever tôt et être introduit pour assister à la vente de l’aracha ou thé brut, par les fermiers. Les acheteurs sont des négociants, parfois fermiers eux-mêmes, qui vont à nouveau faire subir différentes épreuves auxdites feuilles avant de les proposer selon un classement par grade, et en fonction de la demande de leurs clients. Les échanges se font sans bruit, on goûte et ensuite on négocie de la façon la plus discrète qui soit, à l’aide de bouliers.
Une mécanique méticuleuse
L’ingéniosité dont font preuve les Japonais à l’heure de récolter le thé est remarquable. Là où dans le monde entier les feuilles sont prélevées à la main par des cohortes d’innombrables cueilleuses et cueilleurs, la main d’œuvre est si chère au Japon qu’il faut à tout prix pouvoir se débrouiller tout seul. Ce qui signifie à l’aide de machines qui sont toutes aussi bien pensées les unes que les autres. La qualité de la production ne souffre pas de cette mécanisation dans la mesure où les Japonais font souvent preuve d’une grande méticulosité et sont par ailleurs particulièrement soucieux de respecter à la lettre tout mode d’emploi. Une fois les feuilles regroupées sur le lieu de leur transformation, un outil particulièrement sophistiqué examine de son œil électronique si leur forme, leur taille, leur structure, leur couleur correspondent bien à la qualité requise.
Thé d’ombre
Il existe des thés de lumière mais il existe aussi des thés d’ombre. Ceux-ci sont manufacturés à partir de feuilles prélevées sur des rameaux que l’on aura pris soin de priver de lumière durant les trois semaines qui précèdent leur récolte, et ce afin de développer les acides aminés et la fameuse saveur umami chère aux Japonais. C’est donc au Japon que l’on trouve traditionnellement les thés d’ombres, le plus fameux d’entre eux se nomme gyokuro. Son intensité et son incomparable douceur tapissent littéralement le palais, à la condition de le faire infuser correctement, à très basse température (50°) et pour une durée d’une à deux minutes seulement. Il est préférable de le savourer, à la façon d’un nectar, dans un minuscule récipient.
Un autre thé d’ombre bien connu chez nous notamment pour son usage en pâtisserie, le matcha, il est lui-même obtenu à partir d’un thé d’ombre réduit en poudre.
Orge et sarrasin
Il n’y a pas que le thé dans la vie. Il y a aussi l’orge et le sarrasin. Une fois les graines torréfiées, on les fait infuser. A chaud, à froid, c’est délicieux. Les Japonais, qui en consomment depuis toujours, adorent. En Bretagne on en produit, une chance puisque cela peut éviter de les faire venir du bout du monde. A la rentrée je vous présenterai Yoann, un « torréfacteur d’alternative bretonne », comme il se définit lui-même. D’ici-là, les épis d’orge mûrs auront été fauchés et les jolies fleurs de sarrasin auront eu le temps de faire des graines. Je vous souhaite un bel été.
Jardin zen
Au Japon, pays d’ordre s’il en est, les théiers sont entretenus de la façon la plus rectiligne qui soit. Ils composent des sortes de jardins zen si bien qu’à l’instar de ceux qui se rencontrent à Kyoto et dans bien d’autres régions de l’Archipel, à leur contact on aspire à se poser et à les contempler. Leur esthétique vous absorbe.
Au Japon, la relève en question
Il y a quelque chose qui vous frappe lorsque vous visitez des fermes de thé au Japon, que vous allez de manufacture en manufacture, c’est l’âge des exploitants. Souvent ces couples représentent la quatrième, cinquième, sixième génération, mais quand on les questionne à propos de la relève, bien souvent il n’y a plus personne après eux. Ils n’ont pas ou peu d’enfants, rarement enclins à s’inscrire dans la continuité familiale. Un vrai défi pour les productions de thé au Japon. Certes, les terres ne vont pas disparaître et les théiers sans doute pas non plus, les champs seront repris par une importante société de thé, mais cette mosaïque de très petits producteurs qui cultivent en moyenne environ cinq hectares, contribue à la richesse gastronomique du thé puisque chacun travaille les cultivars de son choix et en fonction de son terroir. Il me semble que c’est important de se fournir chez eux le plus longtemps possible, afin de donner toutes les chances à une aléatoire relève.
Agriculture biologique : des pratiques perfectibles
A la suite de mon dernier billet, j’ai reçu des commentaires qui me semblent intéressants à rapporter. Au préalable, je tiens à préciser que l’Inde est un pays pour lequel j’éprouve un profond attachement, et la région de Darjeeling, je l’ai visitée plusieurs dizaines de fois, c’est vous dire si elle m’est chère. Enfin, en plus de 30 ans, Palais des Thés a multiplié les initiatives pour faire connaître les merveilleux thés en provenance de cette région du monde.
Je fais la synthèse des remarques reçues et je tiens à souligner que ce problème de pesticide qui ne devrait jamais se retrouver a fortiori dans un thé labellisé « AB » ne concerne pas que l’Inde. Dans d’autres pays, la même chose pourrait se produire. Les remarques en provenance d’amis producteurs et que je partage avec vous sont les suivantes :
– Le pesticide incriminé ne se trouve pas facilement, son usage est devenu rarissime dans le thé. En revanche, des pulvérisations de DDT par les autorités existent et ce afin de lutter contre le paludisme dans de rares zones particulièrement infestées ; ces pulvérisations qui gagneraient à être réalisées à l’aide de produits de substitution peuvent se retrouver sur les productions agricoles alentour ;
– La création de barrières végétales entre les routes et les champs, ainsi qu’autour des habitations a été au cœur de nombreuses discussions avec les autorités sanitaires régionales ; c’est une solution facile à mettre en œuvre dans les cas où la lutte contre la présence du moustique porteur du parasite à l’origine de la malaria s’avère indispensable ;
– Parfois, une proximité excessive entre la personne en charge de la certification et le propriétaire de la parcelle nuit au sérieux de ladite mission et aboutit à un contrôle de pure forme ;
Un élément me semble important à souligner, que peu de consommateurs connaissent : les certifications de type « AB » reposent essentiellement sur l’examen de pièces diverses, et les organismes en charge de ces certifications ne procèdent pas systématiquement à des analyses en laboratoire. Notre santé comme celle de nos clients est primordiale, voilà pourquoi j’aborde ce sujet ici de la façon la plus simple, la plus transparente possible.
Chercher l’intrus
Un intrus se cache dans cette photo, saurez-vous le démasquer ? Regardez bien !
Il s’appelle DDT, pour Dichlorodiphényltrichloroéthane. Invisible à l’œil nu. Et pourtant il est bien présent ici, dans cette plantation du nord de l’Inde. Une plantation de surcroît certifiée « agriculture biologique ». Comment est-ce possible ? Voici : il n’existe pas à l’heure actuelle d’obligation de résultat en ce qui concerne le label Agriculture Biologique ou « AB », ce qui signifie que l’organisme certificateur qui va suivre le travail de la plantation va s’assurer par différents moyens que le process de fabrication du thé est conforme aux normes de l’agriculture biologique. Le contrôle va porter sur l’analyse de très nombreux documents mais pas forcément du thé lui-même. Voilà pourquoi, un thé qui ne devrait jamais se trouver en vente peut passer au travers des mailles. Ici, parce que Palais des Thés fait du zèle en quelque sorte, en allant bien au-delà de ses obligations légales, le thé a été envoyé dans un laboratoire indépendant, avant toute mise sur le marché, il est revenu non conforme.
Dans un cas comme celui-là, rare, heureusement, nous prenons immédiatement contact avec le producteur, analyses à l’appui, et lui demandons de reprendre son thé. Il repartira en Inde ou sera détruit, à son choix. La santé des clients n’est pas négociable.