Le plus connu des thés grillés japonais, le hojicha (parfois orthographié houjicha ou encore hôjicha), est fait à partir du thé bancha, issu de la récolte d’automne. Après avoir suivi le process de fabrication traditionnel d’un thé vert japonais (étuvage, façonnage, séchage), il est passé au four durant 5 minutes à 150 degrés, d’abord, puis à 300 degrés ensuite, durant une durée analogue. De nos jours, le hojicha est davantage consommé dans les parties du pays où le thé ne pousse pas, donc au nord de Tokyo et principalement sur l’île d’Hokkaido. Pour les amateurs d’accords gastronomiques, servi tiède ou à température ambiante, ses notes boisées et animales accompagnent à merveille la dégustation d’un pont-l’evêque, d’un livarot, ou de tout autre fromage à pâte molle et à croûte lavée ou fleurie.
ARCHIVE DE 2023
Une taille mécanique
Au Japon, la récolte la plus prestigieuse de l’année a lieu entre fin avril et début mai. C’est à ce moment-là que l’on manufacture les fameux ichibancha, ou thés de la première récolte. Au début du mois de juin a lieu la taille suivante. Elle donne des thés intéressants mais qui ne sont toutefois pas au niveau des précédents. Ici, dans les environs de Shizuoka, je participe à ma manière aux opérations, au volant d’une Kawasaki assez différente de celles que l’on peut voir circuler dans les rues de nos villes. Pour des raisons de coûts de main-d’œuvre, le Japon est l’un des rares pays au monde à avoir mécanisé ses opérations de cueillette.
De la bouilloire à la théière
Au Japon, la bouilloire en fonte fait partie des objets traditionnels de la cérémonie du thé. Cette même bouilloire, nous la retrouvons comme ici dans les auberges, au-dessus d’un foyer de braises. L’hiver, on vient s’asseoir au bord de l’âtre et approcher ses mains pour les réchauffer. Outre sa fonction calorifère, la bouilloire contient l’eau qui va servir pour le thé. Cette eau, on viendra alors la puiser à l’aide d’une louche en bambou pour la verser directement dans le bol à thé, dans le cas de la préparation d’un thé en poudre.
Ce sont les Français qui ont d’une certaine manière inventé la théière en fonte. Cela se passe dans les années 80. Séduits par la beauté de ce récipient au design si pur, ils ont convaincu les fondeurs du nord du Japon de réaliser des sortes de bouilloires miniatures équipées d’un filtre intérieur et éventuellement vernissées : la théière en fonte était née. La France est restée longtemps le principal marché d’exportation de cet objet d’une grande beauté et qui vous accompagne une vie entière.
Un thé chic
En Angleterre, le thé constitue un rituel. Ou plutôt plusieurs rituels : early morning tea, breakfast tea, et bien sûr le fameux afternoon tea. Durant ce qu’il faut bien dire, ressemble à un vrai repas, le thé est important, certes, mais l’atmosphère, la qualité de la porcelaine, les sandwiches au concombre, à la menthe ou au cheddar, les scones, muffins, cakes, crème fouettée, sont encore plus à l’honneur. C’est la Duchesse de Bedford, au début du XIXème siècle, qui a institué ce moment. A l’époque on déjeunait tôt, dînait tard, et notre duchesse en souffrait. Elle a institué, non pas la tasse de thé qui existait déjà mais tout ce qui peut être à-même de l’accompagner dans le creux d’un après-midi. Une visite dans l’un des nombreux établissements londoniens qui proposent ce que l’on nomme aussi le five o’clock tea calmera les appétits les plus féroces et ce, dans une ambiance délicate, toute en chuchotements, attentions, pas feutrés. Un thé social, bien élevé. Le thé chic par excellence.
Un missionnaire nommé Lucas
Dans les Pyrénées, sur les hauteurs d’Argelès-Gazost, Lucas fait figure de missionnaire. Diplôme d’ingénieur agronome en poche, il décide de revenir sur les terres familiales afin d’y introduire la culture du thé. Après avoir passé du temps avec des producteurs au Laos, en Indonésie, en Chine, au Népal, voilà notre pionnier aujourd’hui à la tête d’une toute jeune exploitation de plusieurs milliers de plants. Il surveille chacun d’entre eux comme le lait sur le feu, observe le développement de chaque cultivar, et manufacture déjà de délicieux crus qu’il prépare au gaiwan, cet ustensile venu de Chine et qui permet si bien à la feuille de s’exprimer. A la fois humble et d’une grande volonté, confiant, Lucas ambitionne de créer un véritable modèle de culture de thé européen, pérenne, exemplaire en termes d’agroécologie. C’est ce qu’il explique ici à Sidonie qui m’accompagne, le temps de l’enregistrement de notre podcast, «Un thé, un voyage».
Un noble flétrissage
Le flétrissage est essentiel à la fabrication de nombreux thés. Durant cette étape, la feuille de camélia, initialement composée à 80% d’eau, va perdre peu à peu son humidité. Souvent les curieux demandent ce que signifie le mot flétrissage, du fait qu’il reste peu employé dans notre langue. Ce mot est pourtant présent dans la plus célèbre tirade du Cid, et dans un sens certes un peu différent puisque ce sont des lauriers qui flétrissent sous la plume de Corneille. Par ailleurs, loin d’apporter à la couronne de feuilles qui couvrent le chef de Don Diègue une quelconque valeur ajoutée, ce flétrissage vient signifier la perte d’une fière apparence, une sorte de déshonneur.
Dans théâtre, il y a thé. Pour le reste, on diverge. On n’a encore jamais entendu la moindre feuille de thé se plaindre de son flétrissage et déclamer, Ô rage, Ô désespoir.
Vivre libre !
Le principe du gaiwan, le voici, après avoir déposé dans le récipient une quantité importante de feuilles, correspondant au tiers de son volume environ, on vient verser l’eau. Une infusion courte que l’on transvase dans un pot de réserve ou directement dans des tasses, avant de faire infuser une seconde fois. Puis une troisième.
Des infusions brèves et successives, et des feuilles qui jouissent d’une liberté totale. Regardez-les ici prendre leur aise. Chacune d’entre elles se trouve comme un poisson dans l’eau. Avez-vous déjà observé des feuilles de thé en train d’infuser ? En avez-vous rencontré d’aussi décontractées que celles-ci, d’aussi détendues ? Le gaiwan, ça n’est pas seulement du thé, c’est aussi un spectacle. Beauté de l’objet, beauté des feuilles au bain. Après avoir soulevé délicatement le couvercle, libre à nous de les admirer, admirer leur teinte, leur forme, la façon dont l’eau leur redonne vie, et le parfum qui se dégage, bien sûr, et que l’on va venir sentir en rapprochant de son nez l’intérieur d’un couvercle qui a su le capturer.
La simplicité du gaiwan
Sans parler du set à déguster parfois utilisé par les professionnels, il existe diverses manières de faire infuser le thé. Le zhong ou le gaiwan, en Chine, le shiboridashi ou le kyusu, au Japon. En Occident, le récipient le plus utilisé se nomme une théière. Mais pourquoi ne pas explorer des territoires moins connus ? Aujourd’hui je voudrais vous parler du gaiwan, cet objet dénué de toute prétention se compose d’une sorte de bol et de son couvercle. Dans un premier temps, observons-le de l’extérieur tandis qu’à l’intérieur les feuilles sont en train d’infuser. L’avantage du gaiwan réside dans sa plus extrême simplicité et dans sa radicalité. Faire infuser le thé, c’est quoi ? C’est mettre en contact les feuilles de thé avec de l’eau. Ainsi, les feuilles en s’ouvrant libèrent leurs arômes et leurs autres composants. Difficile pour une feuille de thé de prendre davantage ses aises que dans cet ustensile remarquable. Je pourrais tout de suite vous montrer l’intérieur du gaiwan, mais je préfère attendre dans la mesure où ce que j’apprécie plus que tout lorsque je me prépare un thé c’est contempler l’objet dans lequel il infuse, sa couleur, la façon dont les changements de lumière se reflètent, influent sur sa matière, j’observe la rugosité de sa terre, les paysages dans lesquels la contemplation de cet objet m’emmène. Ce gaiwan a été réalisé en France, dans le Périgord, par une céramiste de talent qui se nomme Manon Clouzeau. Observons encore notre thé qui infuse sous ce délicat couvercle dont la préhension est si aisée. Je vous laisse contempler et vous donne déjà rendez-vous. La semaine prochaine, j’enlève le haut.
Des accords salés
La chaîne de télé M6 est venue me voir cette semaine pour m’interroger à propos d’associations de thé et de mets. Et pas n’importe quelles associations ! Uniquement celles qui ont à voir avec du salé. En effet, marier le thé avec le sucré, y compris pour les néophytes, cela coule de source et ça s‘appelle par exemple le « tea time ». En revanche, avec le salé, c’est différent, disons plus osé, alors ma première recommandation est celle-ci, pour celles et ceux qui souhaitent se lancer dans de tels accords, il est souhaitable de privilégier une infusion à température ambiante. La raison en est que si charcuterie et thé ont des choses à se dire, si fromage et thé aussi à condition de bien choisir son cru, il n’est pas conseillé ici de confronter le chaud au froid. Pour votre infusion, voici comment procéder : vous prenez le thé de votre choix, vous mettez dans une carafe la quantité habituelle à savoir deux grammes par tasse, vous versez de l’eau filtrée et vous attendez une heure. De gauche à droite, Pu Erh Impérial (pour un Comté 36 mois), Bancha Hojicha (pour un brie), Shiraore Kuki Hojicha (pour un pont-l’évêque), Butterfly of Taiwan (pour un ossau-iraty), Dharamsala smoked (pour un fromage fumé, une charcuterie), Chine Long Jing (pour un chèvre frais). Bon appétit !
Darjeeling, quel modèle retenir ?
Des propriétaires qui se plaignent, des ouvriers qui rechignent, des acheteurs qui peu à peu désertent devant les hausses à répétition et des thés appelés à tort Darjeeling qui circulent. Si on aime Darjeeling et ses habitants, on ne peut pas rester les bras ballants devant cette situation. Alors que faire ? Quel avenir radieux pourrait-on imaginer pour cette ville qui aime à se faire appeler la Reine des Montagnes et pour ce thé prestigieux qui revendique de façon contestable juridiquement l’appellation de « Champagne du thé » ? Si on veut que les paysans restent à travailler dans les plantations, il faut qu’ils soient heureux, sinon leurs enfants partiront. Donc il faut qu’ils soient mieux considérés et le salaire est un élément parmi d’autres de cette indispensable considération. Par ailleurs et si l’on parle d’avenir, les propriétaires des plantations doivent être prêts à investir. Ce qui est de moins en moins le cas à l’heure actuelle car le profil de nombre d’entre eux a changé, et l’exigence d’un retour sur investissement rapide a souvent remplacé une vision à long-terme. Enfin, on ne peut pas accepter que le thé soit coupé avec un autre pour faire baisser son prix de revient, ni que l’acheteur soit indéfiniment la variable d’ajustement de cette équation.
Une solution pourrait être celle-ci : des ouvriers plus qualifiés, mieux rémunérés, moins nombreux, des tâches davantage mécanisées à condition que cela ne se fasse pas au détriment de la qualité, notamment en haute saison. Ou alors, autre solution possible : que les plantations achètent les feuilles aux paysans auxquels on aurait rendu les terres. A charge pour eux de récolter les feuilles. Ils négocieraient avec l’une ou l’autre factory le fruit de la cueillette, prendraient à leur charge les activités de taille… Et la plantation se consacrerait à la transformation de la feuille de thé, puis à sa commercialisation. Si l’on est aussi attaché que je le suis au Pays des Orages (Dorje-Ling) et que l’on rêve à un avenir radieux, voici de possibles solutions. Il en existe sûrement d’autres.